À Pont-à-Mousson, le postillon du relais précédent avait reçu, avec le prix de sa poste, doubles guides d’une main blanche et musculeuse, qui s’était glissée entre les deux rideaux de cuir qui fermaient la partie antérieure du cabriolet presque aussi hermétiquement que les rideaux de mousseline fermaient la partie antérieure de la caisse.
Le postillon émerveillé avait, en ôtant vivement son chapeau, dit:
– Merci, monseigneur.
Et une voix sonore avait répondu en allemand, langue qu’on entend encore si on ne la parle plus dans les environs de Nancy:
–
Ce qui, traduit en français, voulait dire:
– Vite, plus vite!
Les postillons entendent à peu près toutes les langues, quand on accompagne les paroles qu’on leur adresse d’une certaine musique métallique, dont cette race – la chose est parfaitement connue des voyageurs, – dont cette race, disons-nous, est particulièrement friande; aussi les deux nouveaux postillons firent-ils tout ce qu’ils purent pour partir au galop, et ce ne fut qu’après des efforts qui faisaient plus d’honneur à la vigueur de leurs bras qu’à celle des jarrets de leurs chevaux qu’ils purent enfin consentir, de guerre lasse, à se restreindre à un trot fort convenable, puisqu’il permettait évidemment de faire deux lieues et demie ou trois lieues à l’heure.
Vers sept heures on relayait à Saint-Mihiel; la même main passait à travers les rideaux le payement de la poste franchie, et la même voix faisait entendre pareille recommandation.
Il va sans dire que la singulière voiture excitait la même curiosité qu’à Pont-à-Mousson, la nuit qui s’approchait contribuant à lui donner un aspect plus fantastique encore.
Après Saint-Mihiel commence la montagne. Arrivés là, il fallut bien que les voyageurs se contentassent d’aller au pas: on mit une demi-heure à faire un quart de lieue à peu près.
Sur la cime de la montée, les postillons s’arrêtèrent pour laisser souffler un instant leurs chevaux, et les voyageurs du cabriolet purent, en écartant les rideaux de cuir, embrasser un horizon assez étendu, mais que les premières vapeurs du soir commençaient à voiler.
Le temps, qui avait été clair et chaud jusqu’à trois heures de l’après-midi, était devenu étouffant vers le soir. Un gros nuage blanc venant du sud, et qui semblait suivre la voiture avec préméditation, menaçait de l’atteindre avant qu’elle eût gagné Bar-le-Duc, où les postillons proposaient à tout hasard de s’arrêter pour passer la nuit.
Le chemin, resserré d’un côté par la montagne et de l’autre par un talus escarpé, descendant vers une vallée au fond de laquelle on voyait serpenter la Meuse, offrait pendant une demi-lieue une pente si rapide, qu’il eût été dangereux de descendre cette pente autrement qu’au pas; aussi fut-ce l’allure prudente qu’adoptèrent les postillons lorsqu’ils se remirent en route.
Le nuage avançait toujours, et, comme il était puissant et rasait de près la terre, il s’étendait en agglomérant les vapeurs qui montaient du sol; aussi le voyait-on, dans sa blancheur sinistre, repousser toutes les autres nuées bleuâtres qui cherchaient à se placer sous le vent, comme font les navires un jour de bataille.
Bientôt, grâce à ce nuage qui s’étendait au ciel avec la rapidité d’une marée qui monte, les derniers rayons du soleil furent interceptés: un jour gris et terne filtra péniblement sur la terre, et les feuillages tremblants, sans que la moindre brise passât dans l’air, prirent cette teinte noire qu’ils revêtent sous les premières couches d’obscurité qui suivent l’absence du soleil.
Tout à coup un éclair sillonna la nuée, le ciel se fendit en losanges de feu, et l’œil effrayé put plonger dans les profondeurs incommensurables du firmament, ardentes comme celles de l’enfer.
Au même instant un coup de tonnerre bondissant d’arbre en arbre jusqu’au bout du bois que traversait la route, secoua la terre elle-même et fit courir la grande nuée comme un cheval furieux.
De son côté la voiture roulait toujours, continuant de lancer de la fumée par sa cheminée; seulement, de noire qu’elle était d’abord, cette fumée était devenue subtile et couleur d’opale.
Sur ces entrefaites le ciel s’assombrit comme par secousses; alors le vasistas de l’impériale s’empourpra d’une vive lueur et demeura éclairé; il était évident que l’habitant de la cellule roulante, étranger aux accidents extérieurs, prenait ses précautions contre la nuit afin de ne pas être interrompu dans l’œuvre qu’il accomplissait.
La voiture était encore sur le plateau de la montagne; elle n’avait pas encore commencé d’opérer sa descente, lorsqu’un second coup de tonnerre, plus violent et plus chargé de vibrations métalliques que le premier, dégagea la pluie des nuages; elle tomba d’abord en larges gouttes, puis bientôt elle jaillit drue et raide, comme des brassées de flèches qu’on eût lancées du ciel.
Les postillons semblèrent se consulter: la voiture s’arrêta.
– Eh bien! demanda la même voix, mais cette fois en excellent français, que diable faisons-nous?