Harry Potter et la Coupe de Feu
par J. K. Rowling
Traduit de l'anglais
par Jean-François Menard
1
LA MAISON DES « JEUX DU SORT »
Les habitants de Little Hangleton l'appelaient toujours la maison des « Jeux du sort », même s'il y avait de nombreuses années que la famille Jedusor n'y vivait plus. Elle se dressait au sommet d'une colline dominant le village, certaines de ses fenêtres condamnées par des planches, le toit dépourvu de tuiles en plusieurs endroits, la façade envahie d'un lierre épais qui poussait en toute liberté. Autrefois, le manoir avait eu belle apparence, c'était sans nul doute le plus grand et le plus majestueux édifice à des kilomètres à la ronde mais, à présent, la maison des « Jeux du sort » n'était plus qu'une bâtisse humide, délabrée, déserte.
Les villageois s'accordaient à dire que la maison faisait « froid dans le dos ». Un demi-siècle plus tôt, un événement étrange et terrifiant s'y était produit, quelque chose que les plus anciens du village se plaisaient encore à évoquer lorsqu'il n'y avait rien de plus récent pour alimenter les potins. L'histoire avait été racontée tant de fois, enjolivée si souvent, que plus personne n'aurait su dire où était vraiment la vérité. En tout cas, toutes les versions du récit commençaient de la même manière : cinquante ans plus tôt, à l'aube d'une belle matinée d'été, alors que la maison de la famille Jedusor était encore une imposante résidence soigneusement entretenue, une servante était entrée dans le grand salon et y avait trouvé les cadavres des trois Jedusor.
La servante s'était précipitée au village et avait alerté à grands cris tous ceux qu'elle rencontrait sur son passage.
– Ils sont allongés par terre les yeux grands ouverts ! Froids comme la glace ! Encore habillés pour le dîner !
On avait appelé la police et tout le village de Little Hangleton avait bouillonné d'une curiosité indignée et d'une excitation mal déguisée. Personne, cependant, n'avait gaspillé sa salive à déplorer la disparition des Jedusor qui n'avaient jamais suscité une grande sympathie alentour.
Mr et Mrs Jedusor, un couple âgé, étaient riches, arrogants, mal élevés, et leur fils déjà adulte, Tom, se montrait encore pire que ses parents. Tout ce qui importait aux villageois, c'était de connaître l'identité du meurtrier — le crime ne faisant aucun doute, car trois personnes apparemment en bonne santé n'auraient pu mourir subitement de mort naturelle le même soir.
Au
– Frank ! s'étaient écriés plusieurs clients. C'est impossible !
Frank Bryce était le jardinier des Jedusor. Il vivait seul dans une maisonnette délabrée située dans le domaine qui entourait le manoir. Frank était revenu de la guerre avec une jambe raide et une profonde aversion pour la foule et le bruit. Depuis, il travaillait au service des Jedusor.
Tout le monde s'était précipité pour offrir à boire à la cuisinière et obtenir d'autres détails.
– J'ai toujours pensé qu'il était bizarre, avait-elle dit aux villageois pendus à ses lèvres, après avoir vidé son quatrième verre de xérès. Pas très aimable, pour tout dire. Je crois même qu'il ne m'est jamais arrivé de lui offrir la moindre tasse de thé. Il ne voulait pas se mêler aux autres, jamais.
– Faut le comprendre, avait dit une femme accoudée au comptoir, Frank, il a beaucoup souffert pendant la guerre. Maintenant, il aime bien être tranquille. Ce n'est pas pour ça qu'il aurait...
– Et qui donc possédait la clé de la porte de service ? l'avait interrompue la cuisinière. Il y a toujours eu une clé de cette porte dans la maison du jardinier ! Personne n'a forcé la serrure, la nuit dernière ! Il n'y a pas de carreau cassé ! Tout ce que Frank a eu besoin de faire, c'était de se glisser dans la maison pendant qu'on était tous en train de dormir...
Les villageois avaient alors échangé de sombres regards.
– Moi, je lui ai toujours trouvé l'air mauvais, avait grogné un homme au comptoir.
– La guerre lui a fait un drôle d'effet, si vous voulez mon avis, avait ajouté le patron du pub.
– Je te l'ai souvent dit que j'aimerais mieux ne jamais l'a voir contre moi, pas vrai, Dot ? avait lancé une femme surexcitée, assise dans un coin.
– Un caractère épouvantable, avait approuvé la dénommée Dot en hochant vigoureusement la tête. Je me souviens, quand il était petit...