Ils marchèrent pendant environ dix minutes jusqu’à un endroit de la forêt où les arbres étaient si rapprochés qu’il régnait une obscurité crépusculaire et qu’on ne voyait pas trace de neige sur le sol. Avec un grognement, Hagrid déposa par terre sa demi-carcasse de vache et se retourna pour faire face aux élèves. La plupart d’entre eux avançaient prudemment d’arbre en arbre en jetant autour d’eux des regards inquiets, comme s’ils s’attendaient à une attaque imminente.
– Rapprochez-vous, rapprochez-vous, les encouragea Hagrid. Ils vont être attirés par l’odeur de la viande mais de toute façon, je vais les appeler parce qu’ils aiment bien savoir que je suis là.
Il secoua sa tête hirsute pour écarter ses cheveux de son visage et lança un étrange cri perçant qui résonna parmi les arbres comme l’appel d’un monstrueux oiseau. Personne ne songea à rire. La plupart des élèves paraissaient trop effrayés pour émettre le moindre son.
Hagrid lança à nouveau son cri aigu. Une minute s’écoula pendant laquelle tout le monde continua de jeter des regards alarmés parmi les arbres pour essayer d’apercevoir les créatures attendues. Et tandis que Hagrid écartait ses cheveux et gonflait sa poitrine pour la troisième fois, Harry donna un petit coup de coude à Ron en lui montrant un espace obscur entre deux ifs aux troncs noueux.
Deux yeux blancs, brillants, au regard vide, grandissaient dans les ténèbres. Un instant plus tard, la tête de dragon, puis le corps squelettique d’un grand cheval ailé, entièrement noir, émergèrent de l’obscurité. L’animal regarda les élèves pendant quelques secondes en agitant sa longue queue noire, puis baissa la tête et commença à arracher de ses crocs pointus des lambeaux de chair à la vache morte.
Harry éprouva un immense soulagement. Au moins, la preuve était faite qu’il n’avait pas imaginé ces créatures, qu’elles étaient bien réelles. Hagrid les connaissait également. Harry se tourna aussitôt vers Ron mais celui-ci continuait de fixer les arbres. Quelques instants plus tard, il murmura :
– Qu’est-ce qu’il attend pour les appeler de nouveau ?
La grande majorité des élèves avaient toujours la même expression d’attente, perplexe et anxieuse, et ne cessaient de lancer des coups d’œil partout, sauf en direction du cheval qui se tenait devant leur nez. Deux personnes seulement semblaient le voir : un garçon de Serpentard à la silhouette filiforme, qui se trouvait juste derrière Goyle et regardait le cheval manger avec une expression de dégoût, et Neville dont les yeux suivaient le mouvement de balancier de la longue queue noire.
– Ah, en voilà un autre ! annonça fièrement Hagrid.
Un deuxième cheval noir surgit d’entre les arbres, serra ses ailes contre son corps et baissa la tête à son tour pour dévorer la viande.
– Et maintenant, levez la main, ceux qui arrivent à les voir.
Avec une très grande satisfaction à l’idée qu’il allait enfin comprendre le mystère de ces chevaux, Harry leva la main. Hagrid lui adressa un petit signe de tête.
– Oui, bien sûr… je savais que tu les verrais, Harry, dit-il d’un ton grave. Ah, toi aussi, Neville, hein ? Et…
– Excusez-moi, l’interrompit Malefoy d’une voix narquoise, mais qu’est-ce qu’on est censés voir, exactement ?
Pour toute réponse, Hagrid montra la vache morte. Toute la classe l’observa pendant quelques secondes puis il y eut des exclamations de surprise et Parvati laissa échapper un petit cri aigu. Harry comprit pourquoi : voir des morceaux de chair s’arracher tout seuls de la carcasse et disparaître comme par enchantement devait sembler très étrange.
– Qu’est-ce qui fait ça ? demanda Parvati d’une voix terrifiée en allant se réfugier derrière l’arbre le plus proche. Qui est-ce qui mange ?
– Des Sombrals, répondit fièrement Hagrid.
– Oh, murmura Hermione qui venait soudain de comprendre.
– Il y en a tout un troupeau, à Poudlard, reprit Hagrid. Maintenant, qui peut me dire… ?
– Mais ils portent malheur ! l’interrompit Parvati, l’air effaré. On dit qu’il arrive d’horribles catastrophes aux gens qui les voient. Le professeur Trelawney m’a dit un jour…
– Non, non, non, coupa Hagrid en pouffant de rire, ça, ce sont des superstitions, ils ne portent pas malheur du tout, au contraire, ils sont très intelligents et très utiles ! Oh, bien sûr, ceux-là n’ont pas beaucoup de travail, ils tirent simplement les diligences de l’école. Parfois, Dumbledore les utilise aussi quand il a un long voyage à faire et qu’il ne veut pas transplaner et… Tiens, regardez, en voilà encore deux…
Deux autres chevaux surgirent silencieusement de l’obscurité. L’un d’eux passa tout près de Parvati qui frissonna et se plaqua un peu plus contre l’arbre.
– J’ai senti quelque chose, dit-elle, je crois qu’il est juste à côté de moi !
– Ne t’inquiète pas, il ne te fera pas de mal, assura Hagrid avec patience. Maintenant, qui peut me dire pourquoi certains d’entre vous les voient et d’autres pas ?
Hermione leva la main.
– Je t’écoute, dit Hagrid en lui adressant un sourire radieux.