La lecture, acte de communication? Encore une jolie blague de commentateurs! Ce que nous lisons, nous le taisons. Le plaisir du livre lu, nous le gardons le plus souvent au secret de notre jalousie. Soit parce que nous n'y voyons pas matière à discours, soit parce que, avant d'en pouvoir dire un mot, il nous faut laisser le temps faire son délicieux travail de distillation. Ce silence-là est le garant de notre intimité. Le livre est lu mais nous y sommes encore. Sa seule évocation ouvre un refuge à nos refus. Il nous préserve du Grand Extérieur. Il nous offre un observatoire planté très au-dessus des paysages contingents. Nous avons lu et nous nous taisons. Nous nous taisons
Parfois, c'est l'humilité qui commande notre silence. Pas la glorieuse humilité des analystes professionnels, mais la conscience intime, solitaire, presque douloureuse, que cette lecture-ci, que cet auteur-là, viennent, comme on dit, de «changer ma vie»!
Ou, tout à coup, cet autre éblouissement, à rendre aphone: comment se peut-il que ce qui vient de me bouleverser à ce point n'ait en rien modifié l'ordre du monde? Est-il possible que notre siècle ait été ce qu'il fut après que Dostoïevski eut écrit
Que des livres puissent à ce point bouleverser notre conscience et laisser le monde aller au pire, voilà de quoi rester muet.
Silence, donc…
Sauf, bien entendu, pour les phraseurs du pouvoir culturel.
Ah! ces propos de salons où, personne n'ayant rien à dire à personne, la lecture passe au rang des sujets de conversation possibles. Le roman ravalé à une stratégie de la
On tue pour moins que ça.
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Pourtant, si la lecture n'est pas un acte de communication
Si nous faisions la part des grandes lectures que nous devons à l'Ecole, à la Critique, à toutes formes de publicité, ou, au contraire, à l'ami, à l'amant, au camarade de classe, voire même à la famille - quand elle ne range pas les livres dans le placard de l'éducation - le résultat serait clair: ce que nous avons lu de plus beau, c'est le plus souvent à un être cher que nous le devons. Et c'est à un être cher que nous en parlerons d'abord. Peut-être, justement, parce que le propre du sentiment, comme du désir de lire, consiste à
Quand un être cher nous donne un livre à lire, c'est lui que nous cherchons d'abord dans les lignes, ses goûts, les raisons qui l'ont poussé à nous flanquer ce bouquin entre les mains, les signes d'une fraternité. Puis, le texte nous emporte et nous oublions celui qui nous y a plongé; c'est toute la puissance d'une œuvre, justement, que de balayer aussi cette contingence-là!
Pourtant, les années passant, il arrive que l'évocation du texte rappelle le souvenir de l'autre; certains titres redeviennent alors des visages.
Et, pour être tout à fait juste, pas toujours le visage d'un être aimé, mais celui (oh! rarement) de tel critique, ou de tel professeur.
Ainsi de Pierre Dumayet, de son regard, de sa voix, de ses silences, qui, dans le
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Dans la biographie qu'il consacre au poète Georges Perros, Jean-Marie Gibal cite cette phrase d'une étudiante de Rennes où Perros enseignait: