PREMIERE PARTIE
1
UNE FAMILLE ROMAINE
Parcourant la foule rassemblée sur la grande place Smyrne par un clair matin de l'année 131 de notre ère, avançait un tas d'esclaves jeunes et athlétiques qui accompagnaient une litière richement décorée au goût de l'époque.
De temps en temps, on entendait les voix des porteurs s'écrier :
- Laissez passer le noble tribun Caius Fabrice ! Place au noble représentant d'Auguste. Faites place !... Faites place!...
Les petits groupes populaires formés rapidement autour du marché aux poissons et aux légumes se trouvant dans les artères de la ville s'écartaient, alors que le visage d'un patricien romain surgit entre les rideaux de la litière, avec des airs d'ennui tout en observant la foule agitée.
Suivant la litière, un homme dans les quarante cinq ans marchait laissant percevoir dans ses traits un profil Israélite très caractéristique et un orgueil silencieux et réticent. Son humble attitude, cependant, dénonçait sa condition inférieure et bien que ne participant pas à l'effort des porteurs, on pouvait deviner sur son visage contrarié sa douloureuse situation d'esclave.
Au bord du golfe splendide, on respirait l'air parfumé des vents de la mer Egée venant du grand archipel.
L'agitation de la ville avait beaucoup grandi en ces temps inoubliables qui avaient suivi la dernière guerre civile qui avait dévasté la Judée pour toujours. Des milliers de pèlerins l'envahissaient par tous les flancs fuyant les tableaux terrifiants de la Palestine dévastée par les fléaux de la dernière révolution, destructrice des ultimes liens de cohésion entre tribus laborieuses d'Israël, les déterrant de leur patrie.
Les restes des anciennes autorités et des nombreux ploutocrates de Jérusalem, de Césarie, de Bétel et de Tibériade, se côtoyaient faméliques et étaient livrés aux tourments de la captivité après les victoires de Julius Sextus Sévère sur les fanatiques partisans du célèbre Bar-Koziba
Triomphant des mouvements instinctifs de la foule, la litière du tribun s'est arrêtée devant un magnifique édifice dont les styles grec et romain se mariaient harmonieusement.
Dès qu'elle fut garée, elle fut annoncée à l'intérieur où un patricien relativement jeune, dans la quarantaine, l'attendait avec un intérêt évident.
Par Jupiter ! - s'exclama Fabrice en étreignant son ami Helvidius Lucius - je ne pensais pas te trouver si robuste et si élégant à faire envie aux propres dieux !
Voyons, voyons ! - a répliqué l'interpellé dont le sourire laissait paraître la satisfaction que de telles marques d'affection et d'amitié lui causaient - ce sont les miracles de notre temps. D'ailleurs, si quelqu'un mérite de tels éloges, c'est bien toi, à qui Adonis a toujours rendu hommage.
Pendant ce temps, un esclave encore jeune apportait un plateau d'argent où se trouvaient posés des petits vases de parfum et des couronnes ornées de rosés.
Délicatement, Helvidius Lucius se servit tout en remerciant d'un léger signe de tête.
Mais, dis-moi ! - continua son hôte sans dissimuler la satisfaction que lui causait sa visite - j'attends ton arrivée depuis longtemps, de sorte que nous partirons pour Rome le plus rapidement possible. Depuis deux jours la galère est à notre disposition, notre départ ne dépendait plus que de ton arrivée !...
Lui tapotant amicalement l'épaule, il conclut :
Pourquoi as-tu tant tardé ?...
Eh bien, tu sais - lui expliqua Fabrice - résumer les dégâts de la dernière révolution est une tâche plutôt difficile à réaliser en quelques semaines, raison pour laquelle, malgré le retard auquel tu fais allusion, je n'apporte pas au gouvernement impérial un rapport minutieux et complet, mais juste quelques données générales.
Et à propos de la révolution en Judée, quelle est ton impression personnelle des événements ?
Caius Fabrice esquissa un léger sourire, ajoutant avec amabilité :
Avant de donner mon avis, je sais que tu as su profiter de la situation très positivement.