Lolius Urbicus nota qu'il lui était impossible de continuer ses confidences et offrant le bras à la noble dame qui l'accompagna avec un triste sourire, ils ont marché en direction du lac où, quelques instants auparavant, nous avions vu arriver Helvidius et Claudia Sabine.
Autour du chanteur se réunissaient tous les convives, une assemblée compacte et distinguée était attentive à l'hommage que l'Empereur recevait, serein et fier.
La chanson commandée par les hôtes était un long poème à la mode de l'époque où les faits d'Hadrien surpassaient, glorifiés, toutes les réalisations précédentes de l'Empire. D'après les expressions flatteuses de l'artiste, aucun héros à Rome ne l'avait dépassé dans ses brillants exploits. Les généraux, poètes, consuls et sénateurs célèbres étaient restés en deçà de celui qui avait eu le bonheur d'être le fils adoptif de Trajan.
Du haut du trône qui avait été dressé là pour le besoin du moment, l'Empereur donnait libre cours à sa vanité personnelle avec de francs sourires.
Tout le monde l'entourait. De nombreuses autorités étaient présentes, s'associant à l'honorable hommage de Fabien Corneille et de sa famille.
Nous ne pouvons oublier qu'Helvidia et Caius Fabricius se trouvaient là, ensembles, ivres de leur printemps d'amour rieur, alors que Cneius Lucius, contraint par les circonstances à comparaître, se soutenait au bras de Célia, à moitié tremblant dans sa vieillesse avancée, désireux qu'il était de montrer à ses enfants que son cœur participait aussi de l'enthousiasme général.
Une fois que les luths se furent tus, une légion de jeunes répandit les pétales de centaines de couronnes de rosés apportées par des esclaves sur de grands plateaux en argent enveloppant le trône dans un nuage odorant.
De nouvelles harmonies vibraient et le chœur des danseurs exhiba des ballets inédits riches de figures intéressantes et étranges.
Le vin coulait à flot remplissant presque tous les fronts de fantaisie et la fabuleuse chasse aux antilopes clôtura la fête qui est restée gravée pour toujours dans l'esprit de toute l'aristocratie.
Helvidius Lucius et Alba Lucinie retournèrent chez eux supportant le poids d'une indéfinissable angoisse.
Surpris par les événements inattendus concernant les consternantes émotions dont ils avaient été victimes, on pouvait voir en chacun d'eux l'effet partagé d'une confidence désagréable et pénible.
Néanmoins, une fois de retour à l'intimité de leur foyer, la noble femme dit à son mari sur un ton d'amertume :
Helvidius, très souvent j'ai désiré ardemment revenir à Rome, nostalgique que j'étais de nos amis et de l'incomparable environnement citadin ; mais aujourd'hui je comprends mieux le calme de la campagne où nous vivions sans attentions éprouvantes. Les années en province m'ont déshabituée aux intrigues de la cour et à ses cérémonies qui maintenant fatiguent profondément mon cœur.
Helvidius l'écoutait, sentant que son état d'âme était bien le même, tel était l'ennui qui s'était emparé de lui après les spectacles qu'il avait observés, considérant aussi les émotions malaisées que cette nuit lui avait apportées.
Oui, chérie - a-t-il répliqué un peu réconforté -, tes paroles me font un grand bien. En revenant à Rome, je reconnais que je suis moi-même rassasié des ambiances conventionnelles et hypocrites. Je crains la ville avec ses nombreux dangers pour notre bonheur que nous désirons impérissable !
Et se rappelant plus particulièrement des embarrassantes impressions ressenties quelques heures auparavant avec les confidences de Sabine, il a attiré sa femme contre son cœur ajoutant le regard Incendié d'un soudain éclat :
Lucinie, une nouvelle idée me vient à l'esprit ! Que dirais-tu de retourner à notre campagne accueillante et tranquille ? Souvenons-nous, chérie, que la révolution est finie et nous n'aurions aucun mal à réacquérir nos anciennes propriétés de la Palestine.
Nous retrouverions ainsi notre existence tranquille sans les préoccupations accablantes et pénibles qui nous assaillent ici. Tu soignerais tes fleurs et je continuerais à veiller aux intérêts de notre maison.
Je promets que je ferais mon possible pour te rendre la vie moins triste, loin de tes parents ! Nous ne garderions avec nous que tes esclaves préférés et je te demanderais constamment conseil quant à la façon de gérer nos activités !...
Je t'emmènerais avec moi partout où j'irais... jamais plus je ne te laisserais seule à la maison, inquiète et nostalgique...
Helvidius Lucius donnait à sa voix un ton singulier et profondément expressif, comme s'il dépeignait aux yeux de sa femme émue, les douces perspectives d'un tableau printanier.