Читаем Catherine Il suffit d'un Amour Tome 2 полностью

un visage d'une profonde tristesse qui ressortait étrangement sur la splendeur de son décor. Les hautes maisons à pignons, si belles avec leurs boisages apparents, leurs enseignes savamment découpées et l'élancement aérien des flèches d'église, les tours normandes magnifiées de gothique flamboyant, portant couronnes ciselées comme autant de reines, faisaient un cadre étrange aux silhouettes pressées, aux yeux baissés, aux visages mornes des habitants. Point de joyeux vacarme aux carrefours et, dans les échoppes à moitié vides, on sentait les restrictions. Des femmes silencieuses faisaient queue aux boulangeries, aux étals des bouchers et des tripiers, les pieds dans la neige avec l'espoir d'obtenir quelque chose. Par contre on voyait partout des soldats à casaque verte. Deux par deux ou trois par trois, ils déambulaient dans les ruelles, surveillant visiblement. Les consignes les plus sévères avaient été données depuis l'ouverture du procès qui tenait ses assises dans la chapelle du château, tant on craignait un coup de main soit dans le but de délivrer la prisonnière, soit pour attenter à la vie des hauts personnages que la forteresse abritait derrière son enceinte à sept tours.

Quand les trois compagnons atteignirent la boutique de lingerie, atours et colifichets en tous genres, que tenait dame Nicole Son, ils virent que la lingère était très occupée à servir deux dames richement vêtues dont l'accent anglais prononcé désignait des dames de l'entourage de la duchesse de Bedford. Elles maniaient des dentelles de Flandres et des pièces de fine toile de lin avec une avidité qui fit sourire Catherine. Sur le comptoir, coiffant une tête de bois, un grand hennin à triple voile vaporeux, tout couvert de dentelle de Malines, accrocha un instant son regard. La mode bourguignonne semblait l'emporter en Normandie !

Mais dame Nicole, une grande femme sèche et noiraude qui portait sans aucune grâce une robe de beau drap d'Elbeuf gris ourlé d'agneau noir et une grande croix d'or sur une gorgerette de lin finement plissé, leur adressa un regard tellement offusqué que frère Etienne jugea bon de prendre la direction des opérations :

— La paix soit avec vous, dame Nicole ! ânonna- t-il d'un air confit, voilà vos pauvres cousins de Louviers que je vous amène... en bien triste état.

Vous aurez, je pense, du mal à les reconnaître. Ils ont tout perdu. Ce bandit écorcheur, cet Etienne de Vignolles que Dieu damne, a brûlé leur maison, leur a tout pris. Je les ai trouvés sur la route à demi morts...

— Comme c'est triste ! fit Nicole en considérant le couple avec un parfait dégoût. Menez-les à la cuisine, mon père. J'ai à faire !

Les deux dames anglaises avaient abandonné leurs dentelles et regardaient, elles aussi, les nouveaux arrivants. Elles hochaient la tête et chuchotaient entre elles avec une si visible compassion que Catherine retint une brusque envie de rire. Jugeant tout de même qu'il fallait faire quelque chose, elle plongea dans une maladroite révérence, balbutia avec une timidité fort bien jouée :

— Bonjour, ma cousine !

Le geste de dame Nicole fut celui que l'on emploie d'ordinaire pour chasser les mouches.

— Plus tard, plus tard !... Allez à la cuisine ! Vous voyez bien que vous gênez !

A la suite du frère, ils se dirigèrent vers une porte qui ouvrait dans le fond du magasin mais, en passant près de l'une des deux dames, celle-ci fouilla vivement dans son escarcelle et fourra une pièce d'or dans la main de Catherine, trop éberluée pour réagir.

— Poor woman ! s'écria la dame chaleureusement... C'était pour avoir une nouveau robe !

Un si bon sourire accompagnait ces mots que Catherine ne put se défendre d'une sympathie réelle pour cette femme charitable qui savait compatir à la misère d'une autre femme. Elle la remercia d'une révérence et d'un :

— Merci, gracieuse dame... Que Dieu vous bénisse !

Mais dame Nicole avait l'air proprement scandalisée.

— Madame la comtesse est trop bonne... une telle générosité ! Allons, vous autres, filez !

Quand ils arrivèrent dans la grande cuisine, bien chauffée par un grand feu flambant dans la vaste cheminée, la pièce était vide mais la porte qui donnait sur la cour de derrière était entrouverte. La servante devait être au puits ou à la basse-cour. Arnaud, qui, depuis l'entrée dans la maison, avait gardé le silence à grand-peine, grogna entre haut et bas.

— S'il faut vivre avec cette Nicole, je crois que j'aimerais mieux coucher sur le port avec les débardeurs.

Chut ! coupa frère Étienne. Il ne faut surtout pas se fier aux apparences.

Vous changerez peut-être d'avis sur le compte de votre hôtesse. Ah, voici la servante ! Une forte fille armée de deux seaux pleins entrait à cet instant dans la cuisine et, la trouvant envahie, faillit tout lâcher.

— Vous voulez quoi, vous autres ? s'écria-t-elle d'un ton rogue.

Frère Étienne allait répondre mais, juste à cet instant, dame Nicole sortit de son magasin.

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