On s'arrêtait une heure, le temps de manger un peu de pain, d'avaler un verre de vin et de se tremper la figure dans une cuvette d'eau, pour Catherine et Sara tout au moins, tandis que Xaintrailles récupérait des chevaux frais qu'il payait royalement d'une poignée d'or pourvu qu'ils fussent solides. Lui-même mangeait en selle. Il paraissait construit d'un acier inaltérable. Rien n'avait de prise sur cet homme au courage inhumain qui, déjà, à l'aller, avait parcouru ce chemin au même train d'enfer. La fatigue et les courbatures brisaient Catherine mais pour rien au monde elle n'en eût convenu. Elle serrait les dents sur les gémissements qu'au galop du cheval lui arrachaient son dos meurtri, ses cuisses écorchées. Sara non plus ne disait rien. Comme Catherine, elle serrait les dents, comprenant trop bien que toute la vie de la jeune femme était suspendue au faible souffle subsistant encore dans le corps blessé d'Arnaud de Montsalvy. Et Sara n'osait même pas penser à ce qui se passerait si le capitaine avait cessé de vivre avant leur arrivée. Catherine avait tant souffert, par lui et pour lui, que la fidèle tzigane s'épouvantait de la somme de douleur que représenterait cette mort. Catherine surmonterait-elle cet écroulement de sa vie ?... ou bien...
Au soir du troisième jour, les trois cavaliers rompus de fatigue s'enfoncèrent enfin dans l'immense forêt de Guise qui, de Compiègne à Villers-Cotterêts, tenait tout le pays.
— Nous arrivons, fit Xaintrailles. Encore trois petites lieues ! Les Bourguignons et les Anglais sont campés au nord, passé l'Oise. On peut entrer par le sud sans difficultés. Cette forêt enveloppe la ville plus qu'à demi.
Catherine fit signe qu'elle avait compris. Même la parole lui était devenue pénible. Elle voyait les choses à travers un brouillard et suivait passivement, soutenue seulement par un instinct plus fort que sa lassitude. Derrière elle, Sara dormait à cheval et il avait fallu l'attacher à sa selle pour l'empêcher de tomber continuellement.
Ces trois dernières lieues parurent interminables à Catherine. Les arbres succédaient aux arbres sans jamais laisser deviner les murailles d'une ville.
Et ce voyage au bout de la nuit, au bout des arbres, avait quelque chose d'hallucinant !... Quand, enfin, la forêt s'éclaircit, livrant la silhouette rigide de Compiègne, Xaintrailles s'avança seul jusqu'au bord du fossé plein d'eau pour appeler le guetteur, ignorant si, en son absence, l'ennemi ne s'était pas rendu maître de la ville.
— S'il en est ainsi, avait-il dit à ses compagnes, vous fuirez aussitôt et chercherez refuge dans la forêt.
— N'y comptez pas ! lui avait répondu Catherine. Là où vous irez, j'irai !
Et il avait eu beaucoup de peine à la convaincre de le laisser avancer seul.
Mais la ville tenait toujours bon et, bientôt, le petit pont d'une poterne s'ouvrait devant les trois voyageurs qui le franchirent à pied, tenant leurs chevaux par la bride. Au-delà, un arbalétrier attendait, une torche à la main.
Xaintrailles s'adressa à lui, anxieusement.
— Sais-tu si le capitaine de Montsalvy est toujours vivant ?
— Il l'était encore au coucher du soleil, messire. Il avait même sa connaissance. Mais, pour l'heure présente, je l'ignore.
Sans répondre, Xaintrailles aida les deux femmes à remonter à cheval.
Sans lui, Catherine n'y fut sans doute jamais parvenue. Ses jambes tremblaient sous elle et refusaient de la porter. Xaintrailles l'enleva dans ses bras pour la remettre en selle puis rendit à la pauvre Sara à demi morte le même service.
Arnaud est à l'abbaye Saint Corneille où les religieux le soignent de leur mieux, chuchota-t-il. Pour Dieu, n'oubliez pas que vous êtes un garçon ! Les bénédictins sont sévères sur le chapitre des femmes. Et tâchez de faire entendre raison à votre suivante, si elle peut encore entendre quelque chose.
Bientôt, la haute ogive de pierre du portail abbatial se découpa dans la grisaille du jour levant. Xaintrailles se pendit à la cloche du tour et parlementa un instant avec le frère portier dont le visage méfiant était apparu derrière le grillage du guichet.
— Grâce à Dieu, soupira-t-il pour Catherine tandis que le moine faisait ouvrir la porte, Arnaud vit encore ! Il dort à ce qu'il paraît...
Tout en suivant Xaintrailles sous les arcades du cloître, Catherine adressa, du fond de son cœur, une ardente action de grâces à celui qui l'avait exaucée en permettant qu'elle revît Arnaud vivant. La vie, le courage lui revenaient.
Peut-être que tout n'était pas perdu, peut-être qu'il vivrait... et peut-être que le bonheur était pour demain.