Incapable de parler, Catherine s'était arrêtée à quelques pas de lui, le dévorant du regard. Leurs yeux s'accrochèrent, se nouèrent une longue minute où le temps parut s'arrêter. L'étonnement, l'incrédulité se lisaient dans ceux d'Arnaud qui, de seconde en seconde, se dilataient. Une joie violente aussi, mais ce ne fut qu'une impression fugitive... Brusquement, Arnaud se reprit. Il se redressa tandis que tout son visage se convulsait sous l'assaut d'une violente irritation. Furieux, il pointa vers la jeune femme un doigt accusateur, hurla :
— Arrêtez cette femme immédiatement !
Interdite, Catherine s'arrêta, levant vers Arnaud un
visage incrédule. Brutalement coupée de son enchantement, elle vacilla. Ses mains retombèrent inertes le long de son corps, son regard s'éteignit. Elle gémit douloureusement :
— Arnaud !... Non !...
Mais, déjà saisi d'une rage aveugle, il l'empoignait par un bras, la jetait presque aux mains des hommes d'armes qui, stupides d'étonnement, n'avaient pas osé bouger. La voix emportée du jeune homme rugit :
— Vous êtes sourds ou idiots ? Je vous ai dit d'arrêter cette femme !
— Mais... messire, commença un sergent.
Aussitôt Arnaud fut sur lui, le dominant de toute
sa haute taille. Les poings serrés, prêt à cogner, il était tendu comme une corde d'arc. Son visage était pourpre.
— Pas de mais, l'ami ! J'ordonne ! Sais-tu seulement qui elle est ? Une Bourguignonne... la pire de toutes ! Ce n'est pas une pitoyable réfugiée comme elle cherchait à nous le faire accroire. C'est la propre maîtresse de Philippe le Bon, la belle Catherine de Brazey ! Il ne faut pas être très malin pour deviner ce qu'elle vient faire ici !
Au nom de Philippe, le soldat avait pris peur visi blement. Il s'était hâté de saisir Catherine au poignet quand une voix lente, incrédule, se fit entendre :
— La belle Catherine ici ? La dame aux cheveux d'or ? Qui a dit une chose pareille ?
Crinière rouge au vent et armure d'acier bleu, c'était Xaintrailles qui débouchait d'une ruelle. Il était au moins aussi cabossé que son ami, mais son visage joyeux n'en avait pas perdu sa bonne humeur pour autant.
— C'est moi qui le dis ! lança sèchement Arnaud. Regarde, si tu ne me crois pas !
Le grand chevalier roux s'avança vers le groupe de soldats qui s'était refermé autour de Catherine et l'examina avec une stupeur non feinte puis éclata de rire.
— C'est ma foi vrai ! Tudieu, belle dame, que faites-vous ici... et dans cet appareil ?
— Elle est venue nous espionner pour son amant, c'est facile à comprendre, gronda Arnaud. Quant à ce qu'elle va faire maintenant, c'est moi qui vais te le dire : avant une heure elle sera bouclée au fond d'un cachot où elle attendra son jugement. Allez, vous autres, en avant. Emmenez-la...
Mais Xaintrailles avait cessé de rire. Il regardait toujours Catherine. Puis il arrêta son ami d'une main posée sur son bras.
— Tu ne trouves pas que c'est un peu étonnant ? fit-il en secouant la tête.
Pourquoi Philippe de Bourgogne, qui a retiré ses troupes du siège à la suite de son altercation avec Bedford, l'enverrait-il ici... et dans cet état ? Regarde ses vêtements en lambeaux, ses pieds en sang... elle se soutient à peine...
La lueur de pitié qu'elle lisait dans les yeux du capitaine rendit un peu de courage à Catherine effondrée. Mais l'entêtement d'Arnaud ne voulait rien entendre. Il haussa les épaules avec emportement.
Cela prouve seulement qu'elle est meilleure comédienne que tu ne crois !
Quant aux intentions profondes de Philippe le Tortueux, sois bien sûr que je ne tarderai pas à les connaître. La nouvelle de l'arrivée prochaine de la Pucelle a dû changer bien des choses à la Cour de Bruges. En prison, l'espionne... et tout de suite ! Là, je saurai bien lui délier la langue.
Xaintrailles n'insista pas. Il connaissait trop Arnaud pour ignorer que, dût sa vie en dépendre, il ne se déjugerait pas pour un empire, surtout en public.
D'ailleurs, la foule s'était attroupée autour d'eux et grondait, tout de suite prête à la menace.
— A mort la Bourguignonne !
Le cri s'amplifiait déjà. Depuis des mois que le siège durait, les gens d'Orléans étaient exaspérés, avides de laisser éclater leur fureur et leur angoisse. Sentant qu'ils risquaient d'être emportés, quelques soldats enfermèrent Catherine au milieu d'eux, tandis que d'autres écartaient les plus enragés à coups de bois de lance. Une poignée de boue, lancée d'une main sûre, vint frapper la jeune femme à l'emplacement du cœur. Elle ne broncha pas. Elle se tenait très droite, rigide... comme insensible. Elle regardait Arnaud de toute son âme. La boue nauséabonde coula le long de sa robe, laissant une traînée noire. Alors brusquement, la jeune femme éclata de rire... Un rire terrible, strident, qui ne lui appartenait pas et qui fit taire d'un seul coup tous les cris de mort. Elle riait, riait, comme si jamais plus elle ne s'arrêterait.
— Emmenez-la ! hurla Arnaud hors de lui... Emmenez-la ou je la tue !...