Mais Catherine lui sourit gentiment.
— Il n'y a pas de secret, ni d'offense. Je vais rejoindre celui que j'aime. Il est enfermé dans la ville.
Magdeleine cessa de préparer le souper et vint à Catherine dont elle entoura la taille d'un bras.
— Viens t'asseoir, fit-elle abandonnant le vouvoiement. Si tu aimes l'un de ceux qui défendent la cité de Monseigneur Charles1, tu es ma sœur. Colin, mon promis, est des archers du Bâtard, son frère. Dis-moi seulement comment s'appelle le tien.
— Arnaud, fit Catherine, omettant volontairement le reste du nom.
Il valait mieux que la gentille Magdeleine la crût, comme elle, une simple fille amoureuse d'un archer. Un nom noble l'eût effrayée, mise en défiance peut- être. Il était difficile de croire à l'aventure d'une femme noble, riche, courant à travers bois, retrouver un capitaine ! Elle ajouta :
— Je m'appelle Catherine...
— Tu es plus que jamais la bienvenue, dit Pierre cordialement. Reste encore cette nuit ! Tu partiras à l'aube. Je te mènerai jusqu'à la vieille route romaine.
1. Charles d'Orléans, prisonnier à Londres.
Longtemps, Catherine devait se souvenir de la soirée passée dans l'humble chaumière du frère et de la sœur. Leur gentillesse, leur simplicité étaient réconfortantes. Après les épreuves qu'elle venait de subir, avant celles qui l'attendaient encore, c'était une halte bienfaisante. Après le souper, on ne prolongea pas la veillée pour ne pas user trop de chandelle. Catherine partagea la paillasse de Magdeleine. Pierre avait la sienne dans un réduit attenant à l'unique pièce de la maisonnette. Et, bien qu'elle eût déjà dormi toute la journée, Catherine n'en reprit pas moins vigoureusement son sommeil. Ses mains écorchées lui faisaient moins mal. Magdeleine les avait enduites de graisse de porc et bandées avec de la vieille toile.
À l'aube, ce fut Pierre qui la secoua. Il devait aller au champ et il n'avait guère de temps à perdre. Elle vit d'ailleurs que Magdeleine était déjà levée et s'activait.
— J'ai réfléchi, cette nuit, dit Pierre. Le mieux, pour t'éviter des mauvaises rencontres, c'est que tu te fasses passer pour une pèlerine en route pour la sainte abbaye du grand Saint-Benoît. On trouve de tout, pour notre malheur, dans nos pays de Puisaye, du bon et du mauvais. Tu es jeune... et belle. Le bâton de pèlerin te protégera.
Tout en parlant, il sortait d'une armoire prise dans le mur un bâton auquel était accrochée une gourde de fer.
— Un mien oncle a fait jadis le pèlerinage de Compostelle, dit-il en riant.
Prends son bâton, tu auras l'air plus vraie !
En même temps, sans rien dire, Magdeleine jetait sur les épaules de Catherine une sorte de mante grossière à capuchon en disant qu'avec cela elle serait mieux protégée. La jeune fille ajouta encore un gros quignon de pain et un petit fromage de chèvre puis elle embrassa Catherine.
— Que Dieu te garde sur ta route, dit-elle gentiment, et qu'il t'aide à retrouver ton bien-aimé ! Si tu vois Colin, tu lui diras que je l'attends et que je l'attendrai toujours.
Émue aux larmes, Catherine voulut se défendre d'accepter mais elle comprit vite que son refus leur serait une offense. De même, elle n'osa pas sortir ses trois pièces d'argent de peur de les blesser. Elle embrassa chaleureusement Magdeleine, sans trouver un seul mot tant sa gorge était serrée, puis suivit Pierre qui l'attendait au seuil. Dans le sentier, elle se retourna plusieurs fois pour adresser encore quelques signes d'adieu à la jeune fille.
Debout sur sa porte, Magdeleine la regardait s'éloigner... Pierre, devant elle, marchait à grandes enjambées régulières, sans hâte. Elle revit l'endroit où il l'avait trouvée la veille puis, à travers champs, il la mena jusqu'à une sorte de chemin où de grandes dalles de pierre, verdies d'herbe et de mousse, affleuraient encore de loin en loin. Sur le bord de la route, une antique statue lépreuse qui représentait le buste et la tête bouclée d'un jeune garçon se voyait encore bien que les intempéries l'eussent plus qu'à demi rongée. Là, Pierre s'arrêta, le bras étendu vers l'occident.
— Voilà ta route ! Va tout droit jusqu'à ce que tu trouves le grand fleuve.
Elle leva vers lui son regard chargé de reconnaissance.
— Comment vous remercier, toi et ta sœur ?
— En ne nous oubliant pas tout à fait ! fit-il en haussant ses lourdes épaules. Nous, nous prierons pour toi...
Comme s'il avait hâte de la quitter tout à coup, il se détournait pour reprendre son chemin à travers champs, mais, soudain, se ravisa, revint à elle.
Et puis..., fit-il d'une voix sourde, au cas... sait- on jamais ? où tu ne retrouverais pas celui que tu aimes, je voulais te dire que tu pourrais revenir chez nous. On sera toujours heureux, Magdeleine et moi... moi surtout, tu sais, de t'avoir à la maison...