Comme Sara entrait dans la grande salle, un plateau à la main, la tailleuse se relevait et, fière de son œuvre, s'écartait de quelques pas pour juger de l'ensemble.
— Si messire Garin n'est pas satisfait, dit-elle avec un large sourire, il sera donc bien difficile ! Par la Bonne Vierge, vit-on jamais plus belle fiancée. Messire Garin, qui est tout juste rentré de Gand ce matin, se hâtera, je gage, de venir plier le genou devant sa future dame et...
Marie de Champdivers coupa court, d'un geste, au verbiage de la couturière sachant bien qu'elle ne s'arrêterait pas de sitôt si on la laissait faire.
— C'est très bien, ma bonne Gauberte, tout à fait bien ! Je vous ferai savoir si messire Garin a été satisfait. Laissez-nous maintenant.
Sur un regard, Sara emmena la tailleuse vers l'escalier. Catherine et son hôtesse demeurèrent seules. D'un joli mouvement plein de grâce, la jeune fille était venue s'asseoir sur un carreau de velours aux pieds de la vieille dame. Son sourire s'était effacé et avait fait place à un pli de tristesse sur lequel Marie de Champdivers passa un doigt léger comme pour l'effacer.
— L'annonce du retour de votre fiancé ne semble guère vous enchanter, petite ? Est-ce que Garin vous plaît ? Est-ce que vous ne l'aimez pas ?
Catherine haussa les épaules :
— Comment l'aimerais-je ? Je ne le connais qu'à peine. En dehors du matin où, à Notre-Dame, il m'a aidée à me relever, je ne l'ai vu qu'une fois, ici même, au soir de mon arrivée dans votre maison.
Depuis, il est à Gand avec le duc pour les funérailles de Madame la Duchesse. Et puis...
Elle s'arrêta, butant sur l'aveu difficile qu'elle ne put cependant retenir :
— Et puis, il me fait peur !
Marie de Champdivers ne répondit pas tout de suite. Sa main s'attardait sur le front de la jeune fille et son regard, absent, allait se perdre dans le rougeoiement du vitrail comme pour y chercher l'impossible réponse d'une question informulée.
— Et... le duc ? demanda-t-elle après une toute légère hésitation.
Comment le trouvez-vous ?
Catherine releva avec vivacité son front pensif. Un éclair de gaminerie moqueuse passa dans ses yeux.
— Un fort séduisant jeune homme, fit-elle en souriant, mais qui ne l'ignore pas assez ! Un seigneur de haute mine, bien disant, galant avec les dames, habile aux jeux de l'amour... du moins il en laisse courir le bruit : en résumé un prince accompli. Mais...
— Mais ?
— Mais, acheva Catherine en riant, si, comme on le dit, il ne me veut marier que pour me mettre plus sûrement dans son lit, il se trompe.
La stupeur ramena Marie de Champdivers des hauteurs mélancoliques où elle planait. Elle considéra la jeune fille avec un ahurissement comique. Ainsi, Catherine savait ce qui l'attendait ? Bien plus, elle songeait, très sérieusement, à envoyer promener le seigneur duc comme un vulgaire soupirant alors qu'il mettait tout en œuvre pour l'avoir.
— Y songez-vous ? fit-elle enfin. Repousser le duc ?
— Et pourquoi non ? Si je me marie, j'entends demeurer fidèle à mon époux ainsi qu'au serment de l'autel. Donc, je ne serai pas la maîtresse de Monseigneur. Il faudra bien qu'il en fasse son deuil.
Cette fois, Marie de Champdivers sourit, encore qu'un peu mélancoliquement. Si son Odette avait pu avoir, jadis, un peu de ce courage paisible et gai, cette solide détermination quand on l'avait livrée à Charles, tant de choses eussent pu changer ! Mais elle était si jeune alors ! Quinze ans, tandis que Catherine, elle, en avait plus de vingt.
— Messire Garin a de la chance, se contenta de soupirer la vieille dame. La beauté, la sagesse, la fidélité... Il aura tout ce que peut souhaiter l'homme le plus difficile.
Catherine hocha la tête et redevint grave :
— Ne l'enviez pas trop ! Nul ne sait jamais ce que l'avenir lui réserve.
Elle garda pour elle le fond de sa pensée, contenu tout entier dans un petit papier que Sara lui avait apporté le matin même avec son petit déjeuner et qui venait de Barnabé. Le Coquillart lui apprenait à la fois le retour de Garin et, aussi, que tout était prêt pour le soir même.
— Arrange-toi seulement pour retenir la personne auprès de toi jusqu'après le crève-feu, disait Barnabé. Cela ne devrait pas t'être difficile.
Le jour commençait à baisser quand Garin de Brazey franchit les portes de l'hôtel des Champdivers. Derrière les petits carreaux sertis de plomb qui garnissaient la fenêtre de sa chambre, Catherine le regarda avec un bizarre serrement de cœur, sauter à bas de son cheval.
Il était, comme à son habitude, tout vêtu de noir, impassible et glacial mais somptueux grâce à une lourde chaîne de rubis passée autour de son cou et à l'énorme escarboucle sanglante qui rutilait à son chaperon. Un valet le suivait, porteur d'un coffret couvert d'une housse pourpre frangée d'or.