Catherine décontenancée, n'osant y toucher, regardait sans comprendre le grand corps étendu à ses pieds. Comment ce chevalier avait-il pu trouver la mort alors qu'aucun indice de lutte ne se voyait et qu'il n'y avait pas trace, non plus, du passage d'un cheval ? L'armure couvrait si bien le gisant que ses mains saignantes seules se voyaient.
Elles attirèrent le regard de la jeune fille. C'était de très belles mains, à la fois longues et fortes, dont la peau brune semblait fine. Ce qui frappa Catherine, c'est que le sang coulait encore. Pensant que l'homme n'était peut-être pas mort, Catherine s'accroupit auprès de lui, voulut le retourner, mais il était bien trop lourd pour elle.
Se souvenant de ceux qui l'accompagnaient, la jeune fille voulut appeler, mais Mathieu, las de s'époumoner, était descendu de sa mule et venait aux nouvelles.
— Par Notre-Dame-la-Noire, qu'est-ce que cela ? s'écria-t-il ébahi devant le spectacle qui s'offrait à sa vue.
— Un chevalier, vous le voyez. Aidez-moi à le retourner, je crois qu'il n'est pas mort...
Comme pour lui donner raison, l'homme en armure poussa un faible gémissement. Elle jeta un cri.
— Il vit ! Holà Pierre ! Petitjean et Amiel, venez ici !...
Les trois valets accoururent. A eux trois, ils eurent tôt fait d'enlever le chevalier blessé malgré sa taille et le poids considérable qu'il pesait avec sa carapace de fer. Un instant plus tard, l'homme était étendu sur le bord de la route, dans l'herbe douce et, tandis que Pierre allait quérir dans les bagages la boîte à onguents de Catherine, Amiel battait le briquet pour allumer une torche car maintenant la nuit était presque close et l'on n'y voyait à peu près rien.
La pluie ne tombait pas en abondance mais suffisamment tout de même pour que le valet eût bien du mal à faire flamber sa torche. Le vent se levait, de surcroît, et compliquait l'opération. Enfin la flamme jaillit, tirant des reflets rouges de l'armure mouillée. Ainsi, étendu dans l'herbe avec la seule tache claire de ses mains nues, le sombre chevalier avait l'air de quelque gisant taillé dans le basalte. L'oncle Mathieu, au mépris de ses douleurs, s'était assis sur le sol mouillé et, prenant la tête casquée sur ses genoux, se mettait en devoir de lever la ventaille du heaume. Ce n'était pas facile parce qu'elle avait subi des chocs et s'était faussée. Penchée vers lui, Catherine s'impatientait d'autant plus que le blessé gémissait presque sans arrêt.
— Faites vite ! souffla-t-elle. Il doit étouffer dans cette cage de fer
! — Je fais ce que je peux. Ce n'est pas si facile...
La visière en effet se défendait vigoureusement et Mathieu transpirait. Voyant cela, le vieux Pierre tira son couteau et avec mille précautions en introduisit la pointe dans le rivet de la jointure, en prenant bien garde de ne pas blesser le visage au-dessous.
Il pesa sur le manche, le rivet céda, la visière s'ouvrit.
— Apporte ta torche, ordonna Catherine.
Mais à peine la lumière tremblante eut-elle touché le visage aux yeux clos qu'avec un cri Catherine se rejetait en arrière. La boîte d'onguents s'échappa de ses mains.
— Ce n'est pas possible, balbutia-t-elle, blême soudain jusqu'aux lèvres... Pas possible !
— Qu'est-ce qui te prend ? fit Mathieu stupéfait. Tu connais ce jeune homme ?
Catherine leva vers son oncle un regard de noyée. L'émotion qui serrait sa gorge était si forte qu'elle lui ôtait presque l'usage de la parole.
— Oui !... Non !... Je ne sais pas !
— Tu deviens folle ? Qu'est-ce que c'est encore que ce mystère ? Il vaudrait mieux enlever tout à fait ce casque au lieu de t'évanouir à demi. Il y a du sang qui coule.
— Je ne peux pas... pas tout de suite ! Aide mon oncle, Pierre !
Le vieux serviteur, dont les yeux inquiets allaient alternativement du blessé à la jeune fille, s'empressa. Catherine s'assit sur le talus tout près de lui, serrant l'une contre l'autre ses mains tremblantes. Les yeux agrandis, elle regardait avidement son oncle et Pierre qui tentaient de dégager complètement cette tête, ce visage qui était le visage même de Michel de Montsalvy...