— La réponse à ces questions est inscrite sur les armes de ton principal invité, seigneur Philippe de Valois. C'est la rose rouge des Lancastre que je vois ici, c'est l'Anglais que tu traites en frère, à qui tu donnes ta sœur. Et tu me demandes en quoi tu trahis ton pays, prince français qui reçoit l'ennemi sous son toit ?...
— Je n'ai pas à discuter ma politique avec le premier venu.
— Il ne s'agit pas de politique, mais d'honneur. Tu es vassal du roi de France et tu le sais bien ! Je t'ai lancé un défi, le relèves-tu ou bien dois-je de surcroît te traiter de lâche ?
Le jeune homme se baissait déjà pour reprendre son gantelet. Un geste du Duc l'arrêta.
— Laisse !... le gant est jeté, tu n'as plus loisir de le reprendre.
Un mauvais sourire fit étinceler un instant les dents blanches d'Arnaud. Mais le Duc poursuivait :
— Pourtant, un prince régnant ne peut se mesurer en champ clos avec un simple chevalier. Notre champion relèvera donc le gage lancé.
Un éclat de rire insolent lui coupa la parole. Catherine vit se crisper les doigts de Philippe sur les bras de son siège. Il se leva.
— Sais-tu que je pourrais te faire saisir par mes gens,-jeter en quelque basse-fosse...
Arnaud renonça soudain à tutoyer le duc :
— Vous pourriez aussi, seigneur duc, m'opposer dans le champ tous vos escadrons. Mais ce ne serait pas non plus vous conduire en chevalier. Sur le champ de mort d'Azincourt, où toute la noblesse de France tint à honneur de rompre les lances, sauf vous et votre noble père, plus d'un prince croisa l'épée avec plus simple gentilhomme que moi.
La voix de Philippe atteignit alors, sous l'effet de la colère, un diapason aigu qu'on ne lui avait que rarement entendu et qui trahissait sa fureur mieux que ses paroles.
— Nul n'ignore combien grands furent nos regrets de n'avoir pu participer à cette glorieuse et désastreuse journée.
— N'importe qui peut en dire autant, huit ans après ! fit Arnaud goguenard. Moi j'y étais, seigneur duc, c'est peut-être ce qui me donne le droit de parler si haut. N'importe ! Vous préférez boire, danser et fraterniser avec l'ennemi, libre à vous. Je reprends donc mon gage et...
— Moi je le relève...
Un chevalier gigantesque, portant un extravagant costume mi-partie rouge et bleu qui moulait strictement un torse épais comme celui d'un ours s'était avancé. Courbé rapidement avec une agilité dont pareille masse semblait incapable, il ramassa le gantelet. Puis se tourna vers le chevalier noir.
Tu souhaitais t'affronter à un prince, seigneur de la Châtaigneraie, tu peux te contenter du sang de Saint Louis, même frappé de bâtardise...
Je suis Lionel de Bourbon, bâtard de Vendôme et je te dis, moi, que tu en as menti par la gorge...
Catherine se soutenait à peine. Sur le point de défaillir, elle chercha instinctivement un appui. Elle rencontra le bras solide de dame Ermengarde qui se tenait près d'elle. Prunelles dilatées, narines battantes, la Grande Maîtresse piaffait comme un cheval de bataille qui entend la trompette. La scène jouée sous ses yeux, accaparait toute son attention et la ravissait visiblement. Elle couvait d'un regard brillant la silhouette vigoureuse et noire du capitaine de Montsalvy et une véritable houle soulevait sa poitrine généreuse... Le chevalier cependant contemplait avec un sang-froid absolu la gigantesque silhouette de son adversaire. L'examen dut le satisfaire car il haussa ses larges épaules vêtues d'acier.
— Va pour le sang du bon roi Louis, bien que je m'étonne de le voir aventuré dans une mauvaise cause ! J'aurai donc l'honneur, seigneur bâtard, de te couper les oreilles, à défaut de celles de ton maître. Mais retiens bien ceci : c'est au jugement de Dieu que je t'appelle. Tu as choisi de défendre la cause de Philippe de Bourgogne comme je l'attaque moi, au nom de mon maître. Il ne s'agit pas ici de rompre des lances courtoises en l'honneur des dames. Nous combattrons à outrance, jusqu'à la mort de l'un de nous, ou jusqu'à ce qu'il crie merci.
Catherine poussa un sourd gémissement que Garin entendit. Il tourna vers sa femme un regard oblique, mais ne fit aucun commentaire. Dame Ermengarde aussi avait entendu. Elle haussa les épaules.
— Ne soyez pas si sensible, ma chère ! Le jugement de Dieu est une chose passionnante. Et j'espère bien que Dieu rendra justice à ce jeune chevalier. Il est magnifique, sur ma parole !... Comment s'appelle- t-il ? Montsalvy ? Un vieux nom je crois, fort bien porté !
Ces paroles de sympathie réconfortèrent un peu Catherine. Dans le concert de haine qui entourait Arnaud, elles étaient les quelques notes amicales qui rassurent. Une autre voix pourtant, s'élevait pour le jeune homme. Le duc venait de lui demander sèchement s'il avait un second pour la rencontre.
— Par la mordieu, s'écria Arthur de Richemont. S'il n'en a pas, je suis prêt à lui offrir mon épée. C'est un vaillant compagnon que j'ai vu combattre à Azincourt. N'y voyez pas offense, Monseigneur mon frère, mais seulement ancienne fraternité d'armes.