Ce regard, elle l'arrêta sur Catherine et la jeune femme y lut un sourire complice auquel elle répondit. Dans les grandes fêtes, dame Ermengarde appréciait surtout le souper et Catherine n'ignorait pas qu'elle se délectait d'avance, comme une grosse chatte, du repas qu'elle allait faire.
— Le duc ayant présenté chacune de ses sœurs à son futur époux, le maître des Cérémonies allait s'avancer pour former le cortège vers la salle de festin quand un héraut d'armes apparut sur le seuil de la porte, sonna de la trompette et, d'une voix claire, lança : Un chevalier inconnu, qui refuse de dire son nom, demande à être reçu dans l'instant par Monseigneur.
Les conversations s'arrêtèrent. À nouveau ce fut le silence. La voix de Philippe le Bon s'éleva :
— Que veut ce chevalier ? Et pourquoi à cette heure et au milieu d'une fête ?
— Je l'ignore, Monseigneur, mais il insiste pour parler à vous et cela tout justement au sein de la fête. Il jure sur l'honneur qu'il est de sang noble et digne d'être entendu...
Le procédé était pour le moins surprenant et battait en brèche le protocole, mais le duc ne détestait pas la nouveauté. Ceci était étrange, inattendu au milieu d'un bal... Sans doute l'attention aimable d'un grand vassal désireux de rehausser l'éclat de la fête. Cette obstination à cacher son identité devait dissimuler une surprise. Il leva la main, en souriant et ordonna :
— Que l'on nous amène donc, en ce cas, le chevalier mystérieux...
Gageons que c'est là quelque galanterie de l'un de nos féaux sujets qui réserve aux dames et à nous-mêmes, une joyeuse surprise...
Un murmure satisfait salua cet ordre. L'arrivant qui se cachait ainsi soulevait une vive curiosité. Sans doute allait-on voir apparaître un magnifique cavalier portant un costume somptueux qui viendrait sous le masque d'un paladin d'autrefois dire des vers d'amour ou offrir au duc un galant compliment... Mais quand le chevalier mystérieux parut, le brouhaha s'arrêta net.
Dans le cadre des portes ouvertes, en armure d'acier noir, il s'érigeait comme une statue funèbre. Noir, l'épervier battant de l'aile au timbre de son heaume, noires les armes qu'il portait et qui n'étaient certes pas des armes courtoises, mais bien des armes de guerre. Ventaille baissée, silencieux, sinistre, il regardait l'étincelante compagnie. Il tendit à un garde la lourde épée qu'il tenait puis, lentement il s'avança vers le trône, au milieu de la stupeur générale. Dans le grand silence, le claquement des solerets de fer sur les dalles résonnait comme un glas. Le sourire s'était effacé des lèvres de Philippe et chacun retenait son souffle.
Le chevalier noir avançait toujours, d'un pas lourd qui avait l'implacable mécanisme du destin. Au pied du trône, il s'arrêta. Le geste qu'il fit alors fut aussi violent qu'imprévisible.
Arrachant son gantelet droit, il le jeta brutalement aux pieds de Philippe qui bondit, blême soudain de colère. L'assistance gronda.
— Comment osez-vous ? Et qui êtes-vous ? Gardes... Démasquez cet homme ! aboya Philippe blanc de rage.
— Inutile !...
Sans se presser le chevalier portait les mains à son casque. Sans savoir pourquoi, le cœur de Catherine s'était mis à battre à tout rompre. Le sang, lentement, désertait son visage, ses mains. Une angoisse montait... Elle atteignit sa gorge, éclata dans un cri, vite étouffé sous les deux mains de la jeune femme. Le chevalier venait d'ôter son heaume. C'était Arnaud de Montsalvy.
Hautain et méprisant, il se tenait droit au pied du trône, le casque à l'épervier logé sous son bras gauche. Son regard sombre monta audacieusement jusqu'à celui de Philippe, s'y accrocha.
— Moi, Arnaud de Montsalvy, seigneur de la Châtaigneraie et capitaine du roi Charles, septième du nom, que Dieu veuille garder, je suis venu vers toi, Duc de Bourgogne, pour te porter mon gage de bataille. Comme traître et félon je te défie en champ clos, au jour et à l'heure qui te plairont et avec les armes de ton choix. Je réclame le combat à outrance...
Un véritable rugissement accueillit ce discours que la voix sonore d'Arnaud avait envoyé aux quatre coins de la salle. Un cercle menaçant se formait déjà derrière le jeune homme. Des seigneurs tiraient de leurs fourreaux les dagues légères qu'ils portaient et qui eussent été bien inefficaces contre une armure de bataille. Mais le cœur de Catherine défaillit de peur. Pourtant, d'un geste de sa main levée, Philippe de Bourgogne avait fait taire ses courtisans. La colère, peu à peu, s'effaçait de son visage, laissant place à la curiosité. Il se rassit, se pencha en avant.
— Tu ne manques pas d'audace, seigneur de Montsalvy. Pourquoi dis-tu que je suis traître et félon ? Pourquoi ce défi ?
Arrogant comme un coq de combat, Arnaud haussa les épaules.