Rocotof a été me voir le lendemain de votre départ, il eût été plus aimable de me laisser m’ennuyer tout seul. Hier j’ai rendu visite au château de Trigorsky, à son jardin, à sa bibliothèque. Sa solitude est véritablement poétique, puisqu’elle est pleine de vous et de votre souvenir. Ses aimables hôtes devraient bien se hâter d’y retourner, mais ce souhait tient trop à mon égoïsme de famille; si Riga vous amuse, amusez-vous et souvenez-vous quelquefois de l’exilé de Trigorsky (c. à. d. de Michaïlovsky), vous voyez que je confonds nos habitations et toujours par habitude.
Au hom du ciel, Madame, n’écrivez rien a ma mère concernant mon refus à Moer. Cela ne ferait qu’un bruit inutile, car mon parti est pris. {21}
149. Н. Н. РАЕВСКОМУ-СЫНУ
Вторая половина июля (после 19) 1825 г.
Из Михайловского в Белогородку или в Белую Церковь.
Où êtes-vous? j’ai vu par les gazettes que vous aviez changé de régiment. Je souhaite que cela vous amuse. Que fait votre frère? vous ne m’en dites rien dans votre lettre du 13 mai; se traite-t-il?
Voilà ce qui me regarde: Mes amis se sont donnés beaucoup de mouvement pour obtenir une permission d’aller me faire traiter, ma mère a écrit à Sa majesté et là-dessus on m’a accordé la permission d’aller à Pskof et d’y demeurer même, mais je n’en ferai rien; je n’y ferai qu’une course de quelques jours. En attendant je suis très isolé: la seule voisine que j’allais voir est partie pour Riga et je n’ai à la lettre d’autre compagnie que ma vieille bonne et ma tragédie; celle-ci avance et j’en suis content. En l’écrivant j’ai-réfléchi sur la tragédie en général. C’est peut-être le genre le plus méconnu. Les classiques et les romantiques ont tous basé leurs loix sur la
La vraisemblance des situations et la vérité du dialogue — voilà la véritable règle de la tragédie. (Je n’ai pas lu Calderon ni Vega) mais quel homme que ce Schakespeare! je n’en reviens pas. Comme Byron le tragique est mesquin devant lui! Ce Byron qui n’a jamais conçu qu’un seul caractère (les femmes n’ont pas de caractère, elles ont des passions dans leur jeunesse; et voilà pourquoi il est si facile de les peindre), ce Byron donc a partagé entre ses personnages tel et tel trait de son caractère; son orgueil à l’un, sa haine à l’autre, sa mélancolie au troisième etc. et c’est ainsi que d’un caractère plein, sombre et énergique il a fait plusieurs caractères insignifiants — ce n’est pas là de la tragédie. —
On a encore une manie: quand on a conçu un caractère, tout ce qu’on lui fait dire, même les choses les plus étrangères, en porte essentiellement l’empriente (comme les pédants et les marins des vieux romans de Fielding). Un conspirateur dit:
Vous me demanderez: votre tragédie est-elle une tragédie de caractère ou de coutume? J’ai choisi le genre le plus aisé, mais j’ai tâché de les unir tous deux. J’écris et je pense. La plupart des scènes ne demandent que du raisonnement; quand j’arrive à une scène qui demande de l’inspiration, j’attends ou je passe pardessus — cette manière de travailler m’est tout-à-fait nouvelle. Je sens que mon âme s’est tout-à-fait développée, je puis créer. {22}
150. П. А. ОСИПОВОЙ