Depuis l'enfance la petite fille est effrayée – d’un mystère terrible et impur, d'un monstre qui la guête et contre lequel on la protège, on l'arme, on la prévient, on la prêche… comme si le monstre était doué d'une puissance d'attraction et avait besoin d'exorcisme. Peu à peu – l'éclairage change – le magnum ignotum – qui flétrit tout ce qu'il touche, dont le seul nom est une tache, l'allusion auquel est un acte impudique – fait rougir… il devient le seul but de l'existence de la fille… un soleil levant, vers lequel tout montre du doigt – le père, la mère, la famille, la bonne.
Au petit garçon qui commence à courir on s'empresse de donner une bandoulière et un sabre de bois… Va, cher petit, et joue avec l’assassinat fictif, porte des plaies à tes joujoux… en attendant que tu en porteras à ton semblable – dès six ans il ne rêve aussi qu'être soldat, tueur d'hommes en costume de mascarade. Mais la petite fille est bercée par des rêves tout opposés à l'assassinat.
Dors, dors, mon enfant,Jusqu'à l'âge de quinze ans,A quinze ans faut te réveiller,A quinze ans faut te marier.Et même avant quinze ans elle marie déjà sa poupée et lui achète un petit trousseau. La poupée aura aussi un enfant en porcelaine avec un petit brin…
Il faut s'étonner de la nature humaine qui ne cède pas entièrement, qui résiste et ne se déprave pas par éducation. On pourrait s'attendre comme conséquence de ces provocations, de ces excitations que toutes les petites filles, à quinze ans – iront se marier à des petits assassins pour remplacer les hommes qu'ils ont tués.
D'un côté, la doctrine chrétienne dans sa ferveur de faire une horreur de la chair… réveille dans l'enfant une question dangereuse, précoce, jette dans son âme trouble… et quand le temps de la réponse arrive – une autre doctrine met d'une manière grossière le mariage comme l'idéal glorieux, le but de l'éducation d'une jeune personne.
L'écolièredevient fille à marier, promessa sposa, Braut – et le mystère trois fois maudit, le grand péché épuré devient non seulement le desideratum de la famille, le couronnement de l'éducation… le but de toutes les aspirations – mais presque un devoir civique. Les arts et les sciences, la culture et l'intelligence, la beauté, la richesse, la grâce – tout cela ne sont que des roses, des fleurs pour faciliter le chemin de la chute officielle, de la perpétration d'un crime – d'un crime immonde – penser auquel était un péché – mais qui chemin faisant a été métamorphosé en vertu et devoir… Comme la viande qu'on servit à un pape en voyage un jour maigre se transforma – par sa bénédiction – en plat maigre.
En un mot, positivement et négativement toute l'éducation de la femme – n'est que l'éducation, le développement des rapports sexuels, et c'est autour de ce pivot que tourne toute son existence ultérieure… Elle fuit ces rapports. Elle les poursuit, elle en est flétrie – elle s'en glorifie… Aujourd'hui elle garde avec terreur la sainteté négative de son innocence, elle bégaie rougis-sante, à voix basse – à sa plus proche amie – de son amour – et demain aux sons des fanfares, à la clarté de centaines de boi gies, – dans la présence d'une foule d'invités – elle se livre à un homme.
Fille à marier… épouse, mère – la femme ne commence à s'émanciper et à être soi-même que devenant grand'mere (et cela si le grand'père est déjà enterré)… Quelle existence… Touchée par l'amour, la femme ne lui échappe pas de sitôt… la grossesse l'alaitement, les premiers soins et la première éducation – ne sont que les conséquences du grand mystère qu'elle craignait tant l'amour continue dans la femme par la maternité, non seulement dans sa mémoire, mais dans son sein, dans son sang, elle fermente en elle, l'envahit, la domine – et même en s'en séparant – ne se détache pas d'elle.
Sur ce rapport physiologiquement profond et puissant le christianisme a soufflé – par son haleine fiévreuse, maladive, ascétisme monacale et par son souffle empoisonné des catacombes le transforma enflamme dévorante delà jalousie, de l'envie, de la vengeance, de la haine et de l'extermination, sous l'humble voile du pardon et de l'abnégation.