Sans vouloir me vanter, vous savez bien que je suis suffisamment sublime pour ne pas avoir besoin de me faire mousser, je suis un skieur de first quality. Selon Béru, je possède à fond la technique du « sale-homme géant », du « Juliénas léger » et du « rapage contrôlé ».Et c'est peut-être grâce à ces qualités que j'ai pu éviter une catastrophe nationale !Comment ?Entrez dans la danse et vous le saurez. Et en avant la polka de San-Antonio.
Иронический детектив, дамский детективный роман / Шпионский детектив18+San-Antonio
San-Antonio polka
CHAPITRE PREMIER
La radio jouait : Si t'as trop chaud dépoile-toi, cette fameuse chanson hautement intellectuelle qui fit le tour du monde naguère en passant par le détroit de Béring. Alentour, les pentes neigeuses miroitaient au soleil. Assis à la terrasse du « Sapin Bleu », de Courchevel, je sirotais un cocktail Terrific, dont vous trouverez la recette au bas de cette page d'anthologie, lorsque je la vis. Son transat se trouvait à douze centimètres du mien et la distance qui nous séparait me parut incomblable. Cette souris-là, mes amis, n'achetait pas ses soutiens-gorge chez Michelin, croyez-moi. Ce qu'elle trimbalait devant ses poumons était bien à elle, et c‘est pas avec une épingle de nourrice qu'on aurait pu le dégonfler. Je connaissais au moins cent cinquante mille messieurs qui auraient dépensé une fortune pour lui sous-louer sa laiterie modèle avec tous les accessoires. Elle avait des yeux qui vous court-circuitaient le bulbe et une bouche plus sensuelle qu'une édition non expurgée du Kâma-Soûtra. Ses pantalons-fuseaux vous faisaient penser à des tas de trucs, ses bottes de cuir noir à des tas de machins et son bustier à des tas de choses dont aucune n'aurait été racontable à une Première Communion. Moi, vous me connaissez ? Quand une personne pareillement conditionnée se fourvoie dans mon espace vital (comme dirait Jean-Jacques) j'ai illico envie de lui demander de quelle couleur était le cheval blanc d'Henri IV.
Il existe plusieurs méthodes efficaces pour chambrer une nana esseulée. La meilleure consiste à la faire marrer. Les skieurs débutants qui descendaient Belle-Côte à la « va comme tut peux te retenir » me fournirent la matière idéale pour un parachutage sans balisage dans l'intimité de cette bergère. Lui désignant une grosse daronne de quinze tonnes arcboutée sur des planches comme une naufragée sur le radeau qui la méduse je lui dis d'un ton plaisant :
— Voilà une dame qui ferait mieux de faire de l'avalanche, plutôt que du ski.
Ma voisine de fauteuil ne sourcilla pas, ne tourna pas vers moi son beau visage bruni par l'air des cimes, n'émit pas la plus légère onomatopée. Son manque absolu de réactions pouvait s'expliquer de trois manières différentes : ou bien elle était, sourde, ou bien elle était étrangère et n'entravait pas le français, ou encore — mais cette dernière hypothèse me contristait — ma tronche de séducteur ne lui revenait pas. J'entrepris séance tenante de me pencher sur son cas.
Je fis tomber mon verre vide, ce qui eut le don de la faire tressaillir, preuve que ses coquilles à déguster Mozart fonctionnaient. Ensuite je lui demandai en douze langues différentes si elle était : Anglaise, Italienne, Portugaise, Irlandaise, Auvergnate, Allemande, Polonaise, Uéraissaisse, Moldave, Japonaise (son bronzage pouvait être après tout congénital), Lyonnaise ou leucémique : Son mutisme persistant, je dus me rabattre sur la troisième solution et j'en conçus quelque humeur.
C'est pas la peine d'avoir la frime de Casanova, les deltoïdes de Duilio Loi, l'intelligence de Bergson et le talent de Jean Cocteau pour que la première pétasse venue vienne vous snober à dix-huit cent cinquante mètres d'altitude ! Votre avis, mes princes ?
Je quittai mon fauteuil et me penchai sur le sien.
— Vous savez que ça se soigne très bien, lui dis-je.
Elle fronça ses merveilleux sourcils taillés dans la masse et son regard couleur de glacier fonça d'un ton.
— Je vous demande pardon ? laissa-t-elle tomber.
Elle avait une voix qui vous faisait « guiliguili » dans les trompes d'Eustache, une voix basse et mélodieuse. On lui aurait fait lire l'annuaire des chemins de fer rien que pour l'entendre parler !
— Vous êtes toute pardonnée, mon petit.
Son regard bleu des mers du sud fonça encore et une lueur méchante y scintilla.
— Qu’entendez-vous par « ça se soigne très bien », demanda-t-elle.
— Je parlais de votre mutisme. J'ai un ami qui est un champion des cordes vocales. Il est arrivé à faire chanter le grand air de la Traviata à un sourd-muet et a faire réciter du Verlaine à une carpe, c'est une performance, non ? En ce moment, il fait de la rééducation à une clé à molette et aux dernières nouvelles elle ferait déjà : « Arrr, arrr » ! Moi je suis certain, mon petit, que votre cas n'est pas désespéré.
— Je vous prie de cesser ces familiarités, qu'elle rétorqua du tac au tac, comme une mitrailleuse. Je ne vous connais pas !
— Y a rien de plus facile, je suis prêt à faire écrire mon curriculum au néon sur les murs de votre chambre, mon cœur. Je m'appelle San-Antonio, avec un trait d'union après le San, et le même trait d'union avant l'Antonio, par mesure d'économie.
— Et à part ça, qu'est-ce que vous savez faire ? soupira enfin la belle enfant.
Sa question, encore que rébarbative, m'incita à croire que je tenais le bon bout :