– J'avais un rendez-vous de boulot à deux pas d'ici. Je savais que son mari n'était pas là, j'ai lu un article sur le film qu'il tourne en Espagne. J'aurais dit que je passais
Le principal se demanda ce qui l'exaspérait le plus, le naturel incroyable de Louis ou cette manière qu'il avait de contourner toute l'étrangeté de la situation.
– Vous avez les clés d'ici?
– Non. Mais j'ai un alibi, pour ce matin.
– On n'est pas dans un téléfilm américain.
Louis avait cinquante ans depuis peu. Une moustache droite et des sourcils épais lui donnaient un air grave que ses yeux clairs prenaient un malin plaisir à contrarier. Il se leva, déroula d'un coup son long corps noueux et fit craquer ses doigts. Sa voix lustrée gardait quelque chose de triste au fond de sa gorge.
– Dans un téléfilm américain, je serais déjà en train de pleurer depuis un bon moment. Je préfère garder ça pour plus tard.
– C'est vrai au fait…, fit Didier. Vous avez l'air de vivre ça plutôt… plutôt bien…
D’un regard, l'inspecteur fit comprendre à son jeune collègue qu’il aurait pu s'épargner ce genre de remarque. Didier lui-même s’étonnait d'avoir dit une chose pareille.
– Vous vous trompez, ça m'a fait quelque chose de voir la porte grande ouverte et un essaim de types autour de son cadavre. Mais pour l'instant, ce qui me chagrine le plus, c'est votre version des faits.
Le flic prit une bonne dose d'air dans ses poumons pour faire imploser son énervement. Avec Louis, on ne pouvait qu'improviser, au risque d'y laisser des plumes.
– Qu'est-ce qu'elle a, notre version des faits?
– Elle est vraisemblable mais peu réaliste. Crédible, mais sans le plus petit accent de réel. Non, personne n'aimerait finir comme ça.
– Si vous avez des renseignements à nous donner, faites-le.
– Qui a envie de mourir d'un coup de cendrier donné par un petit voyou qui va s'enfuir avec des bijoux?
– Dans notre métier, on voit des morts bien plus absurdes.
– Pas dans le mien. Vous y tenez vraiment, à cette histoire de bijoux dans la boîte en nacre?
– C'est son mari qui nous le confirmera, ou peut-être la femme de ménage.
Louis faillit dire qu'une femme de ménage n'avait rien à lui apprendre sur Lisa, encore moins un mari.
– Lisa détestait les bijoux, ça tombe bien parce que je n'aurais pas pu lui en offrir un seul en dix ans de mariage. Elle a même perdu son alliance pendant notre voyage de noces.
– …?
– Et s'il y avait autre chose, dans cette boîte? Quelque chose de très précieux pour elle? Quelque chose que son agresseur venait spécialement chercher?
– Pour l'instant ce n'est qu'un simple cambrioleur qui a manqué de sang-froid.
– Je crois qu'on peut trouver mieux.
Louis dit ça sans la moindre nuance d'ironie. Au contraire, on sentait chez lui comme un souci de rigueur, un désir de bien faire.
– Vous avez vécu avec elle pendant dix ans. On vous écoute.
Un rayon de soleil tapait sur le dossier d'un fauteuil. Louis s'y installa et ses yeux se crispèrent sous la lumière.
– Lisa avait le plus léger sommeil du monde, un type n'aurait jamais pu mettre à sac cet appartement sans qu'elle s'en aperçoive. Elle l'a vu faire. Il n'avait pas les clés, c'est elle qui l'a laissé entrer.
– Continuez.
– Ce type a fait le même raisonnement que moi, il est venu cette nuit parce qu'il savait que son mari était en Espagne. Et à sept heures du matin on ne peut laisser entrer qu'un intime.
– Un amant?
– Pourquoi pas? Un amant, c'était son genre. Les deux dernières années de notre mariage elle a bien eu une liaison avec cet acteur qu'elle a fini par épouser.
– Qu'est-ce qu'il serait venu chercher dans cette boîte, l'amant?
– Nous pouvons envisager, pour l'instant, un ou deux cas de figure. Peut-être un troisième, mais plus tordu, donc négligeable. Imaginons que l'amant soit brusquement venu lui annoncer qu'il voulait mettre un terme à leur liaison. Mais Lisa est à mille lieues de s'en douter, elle veut enfin profiter de cette occasion inespérée de passer une nuit entière avec lui sans risquer une entrée en scène du mari. L'amant, lui, ne songe même pas à lui faire ce cadeau de rupture, il apparaît le plus tard possible, au petit matin, pour la mettre devant le fait accompli. Il a même pu se fendre d'une phrase du type:
– Quelles lettres?
– Les lettres d'un romantisme effréné qu'il lui a écrites pendant le temps qu'a duré leur idylle. Elle adorait ça, il lui fallait ce genre de preuves pour se sentir aimée. Bien plus de valeur à ses yeux que des bijoux! Je sais de quoi je parle, c'est grâce à mes lettres que je l'ai eue. En ce temps-là, j'avais un beau brin de plume.
– Vous avez une idée de qui pouvait être cet amant?