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Pour la première fois depuis que le ciel existait il y eut dans ses yeux un éclair de colère.

— Ne dis pas de bêtises. Si tu étais normal, je ne serais pas là, à tes côtés. Si tu étais normal, je te cracherais à la figure.

— Quand est-ce qu’on pourra refaire l’amour ?

— C’est difficile, Jeannot Lapin. Les grands psychotiques de notre type n’ont plus de sexualité. Ça éveillerait la méfiance. Mais je te promets de m’arranger pour que mon état s’améliore rapidement… On se retrouvera dehors.

Elle me regarda gravement.

— Évidemment, il faudra que quelqu’un nourrisse mes licornes, pendant mon absence. J’en ai cent, maintenant.

— Il vaut mieux que tu ne leur parles pas de tes licornes.

— Oh non, ça ira. J’ai expliqué au docteur qu’il y avait une licorne sur notre tapisserie de Bayeux à la maison, quand j’étais petite. Elle m’a suivie. Il était très content. Il a interprété ça comme une conduite régressive : le refus de sortir de l’enfance.

Je dis fermement :

— Il vaut mieux que tu ne leur parles pas de tes licornes, Alyette.

— Mais pourquoi ?

— Ça me fout le cafard. C’est un animal mythologique. Comme l’homme. Je ne peux pas supporter cette idée. Ça me rend dingue.

— Attention, voilà Jérémie…

Jérémie était un infirmier sympa, un ancien joueur de rugby de Montpellier qui pesait quatre-vingt-dix kilos de muscles, mais il était très doux et avait besoin de fragiles autour de lui pour se sentir un peu plus fort.

— On lui fait la truite ?

— D’accord.

Le coup de la truite est classique chez les fous, il ne rate jamais et les gardes en ont horreur.

— Salut, Jérémie.

— Bonjour les amis. Venez déjeuner.

J’ai pris Alyette par la main. Nous avons fait quelques pas et puis elle s’est arrêtée et a levé la main, me montrant quelque chose au sommet d’un arbre.

— Tiens, une truite.

— Où ça ?

— Là-bas, sur l’arbre…

Jérémie prit un air de martyr.

Je dis :

— Comment veux-tu qu’une truite se trouve sur un arbre, Alyette ?

Elle haussa les épaules.

— Oh, elle est dingue…

— Bon, bon, ça va, dit Jérémie. J’ai une mauvaise nouvelle. On parle de vous laisser rentrer chez vous.

Je pâlis.

— Chez moi ?

— Non, non, pas à l’intérieur. Mais chez vous, quoi. Physiquement.

— Chez nous ? Qu’est-ce que ça veut dire, chez nous ? Où c’est, chez nous ?

— Ça, personne n’en sait rien, mais au moins c’est la même chose pour tout le monde.

Alyette est allée chez sa sœur et moi à Paris, chez Tonton Macoute.

Il me loge au sixième dans une chambre de bonne sans ascenseur. Je vous ai déjà dit que Tonton Macoute a été tué à la guerre et que depuis, il s’est bien débrouillé. Mais il faut reconnaître pour être juste que les villes sont pleines de gens qui ont été tués mais qui se sont arrangés pour vivre.

Vous me trouverez peut-être haineux mais j’ai tellement aimé et je continue même à aimer tellement que je suis obligé de me défendre. C’est l’amour fou.

Je fus repris une ou deux fois encore de pythonisme, pour échapper à mon espèce et aux lois du genre, et j’ai déjà raconté ici avec toute la lucidité nécessaire comment, pour ne pas avoir d’emmerdes avec un python chez lui, Tonton Macoute m’avait expédié chez le docteur Christianssen à Copenhague.

J’étais bien. J’avais fini ma mère, je l’avais tapée et je l’avais remise à l’éditeur. Le docteur Christianssen venait me parler souvent, avec sa belle barbe blonde qui avait de la veine d’avoir un tel père. Il parle couramment le français des humanistes, je veux dire par là qu’il n’hésite pas à prendre les mots à la-gorge.

— Je sais, mon ami, je sais. Là où il y a des gènes, il n’y a pas de plaisir. Mais dans votre cas, ce n’est pas papa-maman. C’est encore plus familial que ça. Vos gènes ne sont pas plus dégueulasses que d’autres. Prenez vos aises.

J’y serais peut-être parvenu si le lendemain mon éditeur ne m’avait sommé de produire les preuves de mon existence. Elle m’annonçait son arrivée.

J’avais déjà rencontré mon directeur littéraire, Michel Cournot, deux mois auparavant à Genève, après mon retour du Brésil, où paraît-il, je ne suis jamais allé. Alors, qu’on veuille bien me dire où j’étais, pendant tout ce temps-là ? Je ne m’étais pas rendu à Genève aux frais de Tonton Macoute pour des raisons psychiatriques, mais pour perdre du poids à l’institut du docteur Lennes, qui avait mis au point un traitement nouveau. Je ne pouvais plus continuer à traîner sur moi un poids pareil, c’était dangereux pour mon cœur. Plusieurs millions de millions de kilos, je ne sais combien au juste, je ne suis ni géologue ni géographe. On ne connaît pas le poids exact du monde, ça varie avec les individus. Le docteur Lennes avait réussi à me faire perdre quelques kilos.

Le directeur littéraire a été très gentil avec moi. Il m’a simplement dit une fois que « ça n’a pas empêché Hölderlin de faire une immense œuvre poétique ». Je ne sais pas ce qu’il entendait par « ça ». Tout ce que je sais c’est qu’Hölderlin est resté fou près de trente ans et c’est beaucoup trop cher, comme prix littéraire. Aucune œuvre poétique ne vaut ça.

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