– Oui, s’il est pauvre et maladroit, non, s’il est millionnaire et habile. D’ailleurs le pis-aller pour lui est ce dernier supplice dont nous parlions tout à l’heure, celui que la philanthropique révolution française a substitué à l’écartèlement et à la roue. Eh bien! qu’est-ce que le supplice, s’il s’est vengé? En vérité, je suis presque fâché que, selon toute probabilité, ce misérable Peppino ne soit pas
En effet, un domestique ouvrit une des quatre portes du salon et fit entendre les paroles sacramentelles:
«
Les deux jeunes gens se levèrent et passèrent dans la salle à manger.
Pendant le déjeuner, qui était excellent et servi avec une recherche infinie, Franz chercha des yeux le regard d’Albert, afin d’y lire l’impression qu’il ne doutait pas qu’eussent produite en lui les paroles de leur hôte; mais, soit que dans son insouciance habituelle il ne leur eût pas prêté une grande attention, soit que la concession que le comte de Monte-Cristo lui avait faite à l’endroit du duel l’eût raccommodé avec lui, soit enfin que les antécédents que nous avons racontés, connus de Franz seul, eussent doublé pour lui seul l’effet des théories du comte, il ne s’aperçut pas que son compagnon fût préoccupé le moins du monde; tout au contraire, il faisait honneur au repas en homme condamné depuis quatre ou cinq mois à la cuisine italienne, c’est-à-dire l’une des plus mauvaises cuisines du monde. Quant au comte, il effleurait à peine chaque plat; on eût dit qu’en se mettant à table avec ses convives il accomplissait un simple devoir de politesse, et qu’il attendait leur départ pour se faire servir quelque mets étrange ou particulier.
Cela rappelait malgré lui à Franz l’effroi que le comte avait inspiré à la comtesse G…, et la conviction où il l’avait laissée que le comte, l’homme qu’il lui avait montré dans la loge en face d’elle, était un vampire.
À la fin du déjeuner, Franz tira sa montre.
«Eh bien, lui dit le comte, que faites-vous donc?
– Vous nous excuserez, monsieur le comte, répondit Franz, mais nous avons encore mille choses à faire.
– Lesquelles?
– Nous n’avons pas de déguisements, et aujourd’hui le déguisement est de rigueur.
– Ne vous occupez donc pas de cela. Nous avons à ce que je crois, place del Popolo, une chambre particulière; j’y ferai porter les costumes que vous voudrez bien m’indiquer, et nous nous masquerons séance tenante.
– Après l’exécution? s’écria Franz.
– Sans doute, après, pendant ou avant, comme vous voudrez.
– En face de l’échafaud?
– L’échafaud fait partie de la fête.
– Tenez, monsieur le comte, j’ai réfléchi, dit Franz; décidément je vous remercie de votre obligeance, mais je me contenterai d’accepter une place dans votre voiture, une place à la fenêtre du palais Rospoli, et je vous laisserai libre de disposer de ma place à la fenêtre de la piazza del Popolo.
– Mais vous perdez, je vous en préviens, une chose fort curieuse, répondit le comte.
– Vous me le raconterez, reprit Franz, et je suis convaincu que dans votre bouche le récit m’impressionnera presque autant que la vue pourrait le faire. D’ailleurs, plus d’une fois déjà j’ai voulu prendre sur moi d’assister à une exécution, et je n’ai jamais pu m’y décider; et vous, Albert?
– Moi, répondit le vicomte, j’ai vu exécuter Castaing; mais je crois que j’étais un peu gris ce jour-là. C’était le jour de ma sortie du collège, et nous avions passé la nuit je ne sais à quel cabaret.