— Envoyez la communication et donnez les coordonnées ! repartit vivement Dar Véter.
— Point KM 40, station 6L, ramification sud n° 17, branche ouest de la Voie Spirale. Je lance un avertissement.
Le visage sérieux disparut de l’écran. Dar Véter rassembla ses menus effets personnels, enferma dans un coffret les pellicules où étaient enregistrées les images et les voix de ses amis, ainsi que ses propres pensées. Il enleva du mur la reproduction chromoréflexe28 d’un vieux tableau russe, prit sur la table une statuette en bronze de l’actrice Bello Gai, qui ressemblait à Véda Kong. Tous ces objets et quelques vêtements furent emballés dans une caisse en aluminium dont le couvercle portait des chiffres et des signes linéaires en relief. Dar Véter composa les coordonnées qu’on lui avait indiquées, ouvrit une trappe dans le mur et y poussa la caisse. Elle disparut, entraînée par un ruban sans fin. Puis il inspecta son logement. Bien avant l’époque de l’Anneau, il n’existait déjà plus de personnes chargées spécialement de l’entretien des locaux. Ces fonctions étaient remplies par les habitants eux-mêmes, ce qui exigeait de leur part un soin et une discipline irréprochables, ainsi qu’un aménagement judicieux des logis et des édifices publics, l’automatisme de la ventilation et du nettoyage.
L’inspection terminée, Dar Véter abaissa un levier situé à la porte, pour prévenir la station immobilière que ses deux pièces étaient disponibles, et s’ea fut ... La véranda vitrée de plaques laiteuses était échauffée par le soleil, mais la brise marine rafraîchissait comme toujours le toit en terrasse. Les passerelles piétonnes, jetées entre les bâtiments en treillis, semblaient flotter dans l’air et inviter à la promenade, mais Dar Véter ne s’appartenait plus. Le tuyau de la descente automatique le conduisit à la poste magnéto-électrique souterraine, d’où un wagonnet actionné aux ondes l’emmena vers la gare de la Voie Spirale. Dar Véter n’alla pas vers le détroit de Behring, où passait l’arc de jonction de la Branche ouest. Par cet itinéraire, le voyage jusqu’à la 17e ramification sud durait près de quatre jours. Dans les zones habitées Nord et Sud, circulaient des spiropteres de marchandises qui traversaient les océans et reliaient par le chemin le plus court les branches de la Voie Spirale. Dar Véter suivit la branche centrale jusqu’à la zone Sud, dans l’espoir de persuader le chef des transports aériens qu’il était un colis express. Sans compter qu’il gagnait trente heures. Dar Véter pourrait voir le fils de Grom Orm, président du Conseil d’Astronautique, qui l’avait choisi comme mentor.
Le garçon était devenu grand et devait entreprendre l’ann’ée prochaine ses travaux d’Hercule. En attendant, il travaillait au Service de Surveillance dans les marais d’Afrique Occidentale.
Quelle tâche séduisante, pour un jeune, d’être au Service de Surveillance, de guetter l’apparition des requins dans l’océan, des insectes nuisibles, .des vampires et des reptiles dans les marécages tropicaux, des microbes morbifiques dans les zones peuplées, des épizooties ou des incendies dans les régions steppiques et forestières, de déceler et d’anéantir les fléaux terrestres du passé, qui resurgissaient de façon mystérieuse dans les coins perdus de la planète ! La lutte contre les formes nocives de la vie se poursuivait sans trêve. Les micro-organismes, les insectes et les champignons réagissaient aux nouveaux moyens de destruction en produisant des espèces nouvelles qui défiaient les composés chimiques les plus meurtriers. Ce n’était qu’après l’Ere du Monde Désuni qu’on avait appris à utiliser les antibiotiques puissants, sans engendrer des espèces dangereuses et résistantes de microbes.
« Si Dis Ken est employé à la surveillance des marais, songeait Dar Véter, c’est qu’il devient un travailleur sérieux dès son jeune âge ... »
Le fils de Grom Orm, comme tous les enfants de l’Ere de l’Anneau, avait été éduqué hors de sa famille, dans une école située au bord de la mer, dans la zone Nord. C’est là qu’il avait subi les premières épreuves à la station de l’APT. En confiant un travail aux jeunes, on tenait toujours compte des particularités psychologiques de l’adolescence : exaltations, sentiment très fort de la responsabilité, égocentrisme.
L’immense wagon filait sans bruit ni secousses. Dar Véter monta à l’étage, sous le toit translucide. Tout en bas, de part et d’autre de la Voie, passaient en vitesse des bâtiments, des canaux, des bois et des montagnes. Les usines automatiques alignées aux confins des zones agricole et forestière, faisaient étinceler au soleil leurs coupoles diaphanes. Les contours nets et sévères des machines géantes se voyaient à travers les murs de cristal.