– Vous me regardez tous deux avec vos grands beaux yeux étonnés, dit Richelieu; il faut donc que je vous instruise de vos propres affaires?
– Instruisez, instruisez, dirent à la fois le duc et la comtesse.
– Eh bien, le roi aura pénétré tout, grâce à sa merveilleuse sagacité, et il aura pris peur.
– Qu’aura-t-il pénétré? Voyons, demanda la comtesse; car, en vérité, maréchal, vous me faites mourir d’impatience.
– Mais votre semblant d’intelligence avec mon beau neveu que voici…
D’Aiguillon pâlit et sembla dire par son regard à la comtesse: «Voyez vous, j’étais sûr d’une méchanceté.»
Les femmes sont braves, en pareil cas, beaucoup plus braves que les hommes. La comtesse en vint tout de suite au combat.
– Duc, dit-elle, je crains les énigmes lorsque vous remplissez le rôle de sphinx; car alors, un peu plus tôt, un peu plus tard, il me semble que je vais être immanquablement dévorée: tirez-moi d’inquiétude, et, si c’est une plaisanterie, eh bien, permettez-moi de la trouver mauvaise.
– Mauvaise, comtesse! mais c’est qu’au contraire elle est excellente, s’écria Richelieu; pas la mienne, la vôtre, bien entendu.
– Je n’y suis aucunement, maréchal, fit madame du Barry en pinçant ses lèvres avec une impatience que son petit pied mutin décelait plus visiblement encore.
– Allons, allons, pas d’amour-propre, comtesse, continua Richelieu. C’est bien; vous avez redouté que le roi ne s’attachât à mademoiselle de Taverney. Oh! ne contestez pas, c’est démontré pour moi jusqu’à l’évidence.
– Oh! c’est vrai, je ne m’en cache point.
– Eh bien! ayant redouté cela, vous avez voulu de votre côté, autant que possible, piquer au jeu Sa Majesté.
– Je n’en disconviens pas. Après?
– Nous arrivons, comtesse nous arrivons. Mais, pour piquer Sa Majesté, dont l’épiderme est un peu coriace, il fallait quelque aiguillon bien fin… Ah! ah! ah! voila, ma foi! un méchant jeu de mots qui m’est échappé. Comprenez-vous?
Et le maréchal se mit à rire ou à feindre de rire aux éclats, pour observer mieux, dans les convulsions de cette hilarité, la physionomie tout anxieuse de ses deux victimes.
– Quel jeu de mots voyez-vous donc là, mon oncle? demanda d’Aiguillon, remis le premier et jouant la naïveté.
– Tu ne l’as pas compris? dit le maréchal. Ah! tant mieux! il était exécrable. Eh bien, je voulais dire que madame la comtesse avait voulu donner de la jalousie au roi, et qu’elle avait choisi pour cela un seigneur de bonne mine, d’esprit, une merveille de la nature enfin.
– Qui dit cela? s’écria la comtesse, furieuse comme tous ceux qui sont puissants et qui ont tort.
– Qui dit cela?… Mais tout le monde, madame.
– Tout le monde, ce n’est personne. vous le savez bien, duc.
– Au contraire, madame; tout le monde, c’est cent mille âmes pour Versailles seulement; c’est six cent mille pour Paris; c’est vingt-cinq millions pour la France! et remarquez bien que je ne compte pas La Haye, Hambourg, Rotterdam, Londres, Berlin, où il se fait autant de gazettes qu’il se fait de propos à Paris.
– Et l’on dit à Versailles, à Paris, en France, à La Haye, à Hambourg, à Rotterdam, à Londres et à Berlin?…
– Eh bien, on dit que vous êtes la plus spirituelle, la plus charmante femme de l’Europe; on dit que, grâce à cet ingénieux stratagème de paraître avoir pris un amant…
– Un amant! et sur quoi fonde-t-on, je vous prie, cette stupide accusation?
– Accusation! que dites-vous, comtesse? admiration! On sait qu’au fond il n’en est rien; mais on admire le stratagème. Sur quoi on fonde cette admiration, cet enthousiasme? On le fonde sur votre conduite étincelante d’esprit, sur votre tactique savante; on le fonde sur ce que vous avez feint, avec un art miraculeux, de rester seule la nuit, vous savez, la nuit où j’étais chez vous, où le roi était chez vous, et où M. d’Aiguillon était chez vous, la nuit où je suis sorti le premier, où le roi est sorti le second, et M. d’Aiguillon le troisième…
– Eh bien, achevez.
– Sur ce que vous avez feint de rester seule avec d’Aiguillon, comme s’il était votre amant; de le faire sortir à petit bruit, le matin, de Luciennes, toujours comme s’il était votre amant; et cela de façon que deux ou trois imbéciles, deux ou trois gobe-mouches, comme moi, par exemple, le vissent pour l’aller crier sur les toits; de sorte que le roi l’aura su, aura pris peur, et vite, vite, pour ne pas vous perdre, aura quitté la petite Taverney.
Madame du Barry et d’Aiguillon ne savaient plus quelle contenance tenir.
Richelieu ne les gênait cependant ni par ses regards, ni par ses gestes; sa tabatière et son jabot paraissaient, au contraire, absorber tout son attention.
– Car enfin, continua le maréchal tout en chiquenaudant son jabot, il paraît certain que le roi a quitté cette petite.
– Duc, reprit madame du Barry, je vous déclare que je ne comprends pas un mot à toutes vos imaginations; et je suis certaine d’une chose, c’est que le roi, si on lui en parlait, n’y comprendrait pas davantage.
– Vraiment! fit le duc.