– Honnête quant à vous, dit-elle. On est toujours honnête femme, avez-vous dit pour me consoler, quand on est fidèle à celui que le cœur a choisi. Vous vous rappelez cette théorie sur les mariages?
– J’ai dit les unions, Nicole, attendu que je ne me marierai jamais.
– Vous ne vous marierez jamais?
– Non. Je veux être un savant et un philosophe. Or, la science ordonne l’isolement de l’esprit, et la philosophie celle du corps.
– Monsieur Gilbert, dit Nicole, vous êtes un misérable, et je crois que je vaux encore mieux que vous.
– Résumons, dit Gilbert en se levant, car nous perdons notre temps, vous à me dire des injures, moi à les écouter. Vous m’avez aimé parce que cela vous a plu, n’est-ce pas?
– Sans doute.
– Eh bien! ce n’est pas une raison pour me rendre malheureux, moi, parce que vous avez fait, vous, une chose qui vous a plu.
– Le sot, dit Nicole, qui me croit pervertie, et qui fait semblant de ne pas me craindre!
– Vous craindre, vous, Nicole? Allons donc! Que pouvez-vous contre moi? La jalousie vous égare.
– La jalousie! moi jalouse? dit avec un rire fiévreux la jeune fille. Ah! vous vous trompez fort si vous me croyez jalouse. Et de quoi serais-je jalouse, je vous prie? Est-il dans tout le canton une plus jolie fille que moi? Si j’avais les mains blanches de mademoiselle, et je les aurai le jour où je ne travaillerai plus, ne vaudrais-je pas mademoiselle? Mes cheveux, regardez mes cheveux (et la jeune fille dénoua le ruban qui les retenait), mes cheveux peuvent m’envelopper des pieds à la tête comme un manteau. Je suis grande, je suis bien faite. (Et Nicole emprisonna sa taille entre ses deux mains.) J’ai des dents qui ressemblent à des perles. (Et elle regarda ses dents dans un petit miroir accroché à son chevet.) Quand je veux sourire à quelqu’un et le regarder d’une certaine façon, je vois ce quelqu’un rougir, frissonner, se tordre sous mon regard. Vous êtes mon premier amant, c’est vrai; mais vous n’êtes pas le premier homme avec lequel j’aie été coquette. Tiens, Gilbert, continua la jeune fille plus menaçante avec son sourire saccadé qu’elle ne l’était avec ses menaces véhémentes, tu ris. Crois-moi, ne me force pas à te faire la guerre; ne me fais pas sortir tout à fait de l’étroit sentier où me retient encore je ne sais quel vague souvenir des conseils de ma mère, je ne sais quelle monotone prescription de mes prières d’enfant. Si une fois je me jette hors de la pudeur, prends garde à toi, Gilbert, car tu auras non seulement à te reprocher les malheurs qui en résulteront pour toi, mais encore ceux qui en résulteront pour les autres!
– À la bonne heure, dit Gilbert, vous voilà parvenue à une certaine hauteur, Nicole, et je suis convaincu d’une chose.
– De laquelle?
– C’est que si je consentais à vous épouser maintenant…
– Eh bien?
– Eh bien! c’est vous qui refuseriez.
Nicole réfléchit; puis, les mains crispées, les dents grinçantes:
– Je crois que tu as raison, Gilbert, dit-elle; je crois que, moi aussi, je commence à gravir cette montagne dont tu me parlais; je crois que, moi aussi, je vois s’élargir mon horizon; je crois que, moi aussi, je suis destinée à devenir quelque chose; et c’est vraiment trop peu que de devenir la femme d’un savant ou d’un philosophe. Maintenant, regagnez votre échelle, Gilbert, et tâchez de ne pas vous casser le cou, quoique je commence à croire que ce serait un grand bonheur pour les autres, et peut-être même pour vous.
Et la jeune fille, tournant le dos à Gilbert, commença de se déshabiller comme s’il n’était point là.
Gilbert demeura un instant immobile, indécis, hésitant, car, excitée ainsi par la poésie de la colère et la flamme de la jalousie, Nicole était une ravissante créature. Mais il y avait un dessein bien arrêté dans le cœur de Gilbert, c’était de rompre avec Nicole. Nicole pouvait nuire à la fois à ses amours et à ses ambitions. Il résista.
Au bout de quelques secondes, Nicole, n’entendant plus aucun bruit derrière elle, se retourna; la chambre était vide.
– Parti! murmura-t-elle, parti!
Elle alla vers la fenêtre; tout était obscur, la lumière était éteinte.
– Et mademoiselle! dit Nicole.
La jeune fille alors descendit l’escalier sur la pointe du pied, s’approcha de la porte de la chambre de sa maîtresse et écouta.
– Bon! dit-elle, elle s’est couchée seule et elle dort. À demain. Oh! je saurai bien si elle l’aime, elle!
Chapitre XI Maîtresse et chambrière