Sans doute la douleur avait-elle déclenché la crainte dans le cerveau épais du geôlier, car il se mit à gémir comme un animal, à petits halètements courts... Mais il s'éloignait. La porte se rouvrit, Catherine le vit s'enfuir en tenant sa main sur son épaule... Ses plaintes lui parvinrent encore quelque temps et elle constata que, dans son affolement, il n'avait pas refermé la porte complètement, car les verrous n'avaient pas fait de bruit... L'alerte passée, Catherine décida d'attendre le jour. Elle avait eu trop peur pour pouvoir encore dormir.
L'aube grisâtre vint après un temps qui lui parut interminable. Elle poussa un soupir de soulagement en voyant l'ogive de la fenêtre devenir de plus en plus claire. Enfin, le jour revenait et chassait les terreurs de la nuit !
Catherine reprit confiance. Si tout allait bien, la nuit qui se terminait serait la dernière vécue par elle dans cette prison... Elle se sentait affreusement lasse et malade. A nouveau la faim la torturait mais l'espoir qui soulève les montagnes la soutenait. Elle savait qu'il la soutiendrait ainsi jusqu'au soir mais que, si Landry manquait au rendez-vous, la déception serait si cruelle qu'elle entraînerait avec elle tout ce qui restait en Catherine du goût de vivre.
Cette nuit, elle serait libre, ou elle serait morte...
La journée se traîna, d'autant plus longue que Fagot, peureux ou assoiffé de vengeance, oublia une fois de plus de porter à manger à la prisonnière.
Catherine dut se contenter d'un peu d'eau et songea avec tristesse qu'elle n'aurait aucun mal à éteindre le feu dans la cheminée. Le froid semblait plus vif que la veille, mais la casaque de cuir de Landry la protégeait assez bien contre ses morsures. Quand le bref jour encore hivernal commença à décroître, Catherine se sentit devenir fébrile. Dans combien de temps Landry viendrait-il ? Attendrait-il que la nuit fût bien installée, qu'il n'y eût plus à craindre d'être vu de qui que ce soit dans la campagne ? Catherine ne pouvait répondre à cette question, mais elle penchait pour une arrivée tardive.
Landry, sans doute, voudrait mettre toutes les chances de son côté. De même que, le matin, elle avait regardé avec joie s'éclairer sa fenêtre, elle la regarda se dissoudre dans l'ombre sans pouvoir se défendre d'une vague appréhension. La nuit n'avait pas perdu pour la prisonnière son pouvoir maléfique de ramener l'angoisse...
Un bruit de pas dans l'escalier du donjon la fit sursauter. Quelqu'un montait... deux personnes au moins, car elle pouvait distinguer deux voix dont l'une était celle, à peine distincte, de Fagot. Catherine n'en pouvait plus d'avoir peur et, à la crainte de ce qui s'approchait d'elle à cet instant se joignait une atroce déception. C'était peut-être Garin qui revenait... qui avait trouvé un autre moyen de la torturer... Qui pouvait savoir quelle nouvelle invention aurait germé dans ce cerveau malade ? S'il avait décidé tout à coup de la changer de prison, de l'enfoncer dans quelque cachot souterrain sans air et sans lumière où nul, pas même Landry, ne pourrait plus l'atteindre ? Le cœur de Catherine lui faisait mal à force de cogner dans sa poitrine. Quand la porte s'ouvrit, elle faillit crier.
Deux hommes entrèrent dont l'un portait une torche et l'autre une corde.
Les yeux agrandis de terreur, Catherine reconnut Fagot dans l'homme à la torche. L'autre n'était pas Garin, mais le deuxième complice de son enlèvement, celui qu'elle avait vu dans la charrette auprès de Fagot. Il lui ressemblait, d'ailleurs, curieusement. Mais il était peut-être encore plus repoussant, car ce qui chez le geôlier n'était qu'hébétude, visible abrutissement, revêtait chez l'autre tous les aspects d'une méchanceté sans mesure. Certes, celui-là n'avait pas l'air d'un idiot, mais la lueur qui brillait dans ses petits yeux annonçait une astuce dangereuse.
Goguenard, balançant sa corde d'une main, il s'approcha de Catherine, se courba vers elle.
— Voilà la mignonne ! Alors, on fait la méchante ? On ne veut pas essayer de distraire un peu le pauvre Fagot, un si brave garçon ?...
Fagot, qui se tenait à distance respectueuse, la torche haute, désigna la jeune femme avec rancune.
— Couteau !... dit-il seulement.
Catherine vit qu'en effet un pansement entourait son épaule gauche. Mais elle n'en eut aucun remords, regrettant seulement de n'avoir pas frappé plus fort.
— Un couteau, hein ? fit le nouveau venu avec une ignoble douceur... eh bien, on va le lui prendre !
Avant que Catherine ait pu deviner son geste, il avait empoigné la chaîne reliée au collier de fer et la tirait vers lui brutalement. Catherine crut que sa tête sautait. Elle hurla de douleur mais cela ne parut pas impressionner le misérable qui n'en tira que plus fort pour jeter la jeune femme hors de sa couche de paille. Elle roula à terre et, dans sa chute, la dague qu'elle tenait à la main lui échappa.