— Ermengarde ! s'écria Catherine froissée. Vous rendez-vous compte que vous êtes en train de vous moquer de moi ?
— Je m'en rends parfaitement compte, ma chère ! fit celle-ci quand elle eut réussi à retrouver sa respiration. Mais c'est qu'aussi la chose est trop drôle ! C'est le mariage de notre héros qui vous a envoyée aux champs avec cette mine de petite nonne, qui vous fait ces yeux battus, ces joues pâles ?
Ah çà, mais vous êtes folle ! Est-ce qu'il n'est pas normal qu'un garçon de son rang et de son nom se marie ? Il doit, à lui-même et aux siens, de continuer sa race. Il lui faut des fils, une descendance. Et qui voulez- vous qui la lui donne sinon une femme ?
— Mais moi je l'aime ! Moi je me gardais pour lui, je ne voulais que lui !
s'écria Catherine, fondant déjà en larmes qui n'émurent aucunement Ermengarde.
Ce en quoi vous aviez grand tort ! Une femme comme vous est faite pour l'amour, je me tue à vous le dire depuis des mois. Votre Arnaud se marie ?
La belle affaire ! Vous le prendrez comme amant quand cette guerre stupide sera enfin finie... et vous n'en serez pas plus malheureuse. Qu'espériez-vous donc ? L'épouser vous-même. Mais votre mari, ma mignonne, est bien vivant et certainement pas décidé à défunter avant de nombreuses années. Laissez donc le jeune Montsalvy épouser quelque petite oie blanche bien riche et bien titrée qui lui fabriquera des moutards à longueur d'années... et soyez celle qui dispense les délices des amours défendues... tellement plus excitantes que le pot-au-feu conjugal !
Cette étrange leçon de morale avait laissé Catherine pantoise mais à moitié consolée. La terrible Ermengarde avait une manière réaliste de voir les choses qui non seulement ne manquait pas de charme, mais encore s'avérait étrangement efficace. Elle concluait d'ailleurs son sermon en disant
: — Ne vous condamnez pas à une vie stupide à cause d'un dadais qui prend femme, si beau soit-il. Philippe vous aime, il vous veut et il vous aura, croyez-m'en. Pourquoi ne pas essayer de prendre quelque plaisir à la chose ?
Il est jeune, il est beau à sa manière, il est charmant quand il veut, il est puissant en tout cas... et aucune de ses maîtresses ne s'est jamais plainte de lui, bien au contraire. Il a toujours toutes les peines du monde à s'en débarrasser ! C'est d'ailleurs un peu pour cela que je suis venue vous voir...
Ainsi donc, dame Ermengarde avait un but. Catherine réprima un sourire moqueur. L'art avec lequel elle avait glissé négligemment sur les derniers mots était à lui seul un chef-d'œuvre diplomatique. Sans beaucoup de peine, maintenant, Catherine parvint à savoir le fin mot de l'histoire. En fait, Ermengarde, qui « ne s'envoyait qu'elle-même », venait en messagère de la duchesse Marguerite inquiète d'avoir vu réapparaître à Dijon la dame de Presles, la maîtresse en titre de Philippe, dont elle n'ignorait pas l'ambition.
Vous vous souvenez, je pense, de cette créature blonde qui avait si bien décoré de son écharpe ce niais de Lionel de Vendôme... précisa Ermengarde.
C'est d'elle qu'il s'agit. Et la duchesse-douairière se tourmente. Cette femme s'est mis en tête d'être duchesse. Elle est intrigante, habile... et elle connaît son Philippe sur le bout du doigt. Dieu sait ce qu'elle est capable d'obtenir si vous lui laissez le champ libre ! Que cette femme, tout acquise à l'Anglais, parvienne à ses fins et nous en viendrons aux pires catastrophes. Jamais France et Bourgogne ne se rejoindront. En résumé...
La comtesse se leva, dominant son amie de toute la moitié supérieure de son corps. Grave, soudain, elle posa sa belle main blanche sur l'épaule de la jeune femme et acheva, avec une douceur inaccoutumée :
— ... Votre duchesse vous appelle à son secours, Catherine de Brazey.
Vous n'avez pas le droit de la décevoir. Elle est si malade !
Catherine baissa la tête sans répondre. Des sentiments confus l'agitaient.
Elle comprenait maintenant qu'elle se trouvait au centre d'un inextricable écheveau d'intérêts qui allaient bien plus loin que sa jolie personne. De grands personnages, par l'entremise de ses amis de chaque jour, réclamaient son aide. C'était la reine de Sicile, par Odette et frère Étienne, la duchesse Marguerite, par la voix d'Ermengarde... et chacune parlait de devoir, de mission respectable qui, au fond, se ramenaient toutes deux à la même chose
: faire cesser la haine entre Philippe et le roi Charles.
L'arrivée de l'oncle Mathieu, qui accourait annoncer le dîner, la dispensa de répondre. Durant tout le repas auquel elle fit honneur avec son magnifique appétit habituel, Ermengarde s'abstint de parler politique. Par contre, elle fit l'admiration de Mathieu par ses connaissances en matière de commerce. Quand elle fut sur le point de partir, ce fut à qui la prierait de revenir bientôt.
— C'est selon..., fit-elle avec un coup d'œil significatif vers Catherine.
Celle-ci se contenta de sourire.
— Je vous promets de réfléchir, Ermengarde.