L'agitation de la rue, les mules et les chevaux qui l'encombraient, les portes de l'hôtel grandes ouvertes et toute la troupe des jeunes apprentis copistes, sortis de chez les parcheminiers voisins, qui bayaient aux corneilles devant les bagages, tout cela lui apprit le retour de son époux. Elle n'en fut pas surprise car elle s'attendait chaque jour à le voir revenir. Seulement contrariée. Elle eût préféré qu'il revînt plus tard dans la journée pour avoir le temps de se mieux préparer à une entrevue dont elle ignorait le déroulement.
Dans le vestibule, elle rencontra Tiercelin qui surveillait l'entrée d'un gros coffre clouté de fer.
— Mon époux m'a-t-il demandée ? fit-elle en ôtant le voile de ses cheveux.
Le majordome salua profondément et secoua la tête.
— Pas que je sache, Madame. Messire Garin est monté directement à son appartement. Je ne l'ai pas encore vu redescendre.
— Il y a longtemps qu'il est arrivé ?
— Une heure environ. Madame veut-elle que je le fasse prévenir ?
— Non, c'est inutile. Je préfère prendre le temps de changer de toilette.
Messire Garin n'aime guère les robes trop simples... ajouta-t-elle avec un sourire en désignant la robe de légère soie blanche qu'elle portait ce matin-là sur une sous-jupe vert feuille.
Rapidement, elle escalada les marches de pierre qui menaient à sa chambre, Perrine sur les talons.
— Viens vite me changer...
Mais, en entrant dans la chambre de Catherine, les deux femmes poussèrent un cri de saisissement. La chambre était transformée en quelque chose de magique et de démentiel, une sorte de caverne d'Ali Baba. Tous les meubles avaient disparu sous un amoncellement prodigieux de tissus merveilleux. Ce n'étaient, sur les fauteuils, les coffres, les tabourets et les crédences, que flots de brocarts de toutes couleurs, moirés d'or, givrés d'argent, brodés de pierres scintillantes, se déversant en une orgie fantastique de couleurs. Tombant du baldaquin, une cascade de blanches dentelles flamandes, de Bruges, de Malines, de Bruxelles, jetait sur tant de couleur sa neigeuse avalanche. Au milieu de la pièce, un gros coffre d'argent, grand ouvert, montrait des flacons d'or, de cristal, de jade et de cornaline qui emplissaient l'air d'un grisant mélange de parfums...
Médusée, Catherine s'avança au milieu de l'extraordinaire floraison soyeuse. Perrine, elle, était restée clouée au seuil de la porte, mains jointes et bouche bée. Catherine, en se tournant vers elle, la vit soudain plonger dans une profonde révérence et comprit que Garin approchait. Quelque chose trembla en elle, mais elle fit un effort pour se dominer, avala sa salive et, serrant ses mains sur le cuir doré de son missel, fit face à la porte, bien droite, attendant.
L'instant suivant, Perrine s'était esquivée et Garin était là, sans que Catherine ait pu percevoir son pas dans la galerie. Suivant son habitude, il s'arrêta dans le cadre de la porte, regardant sa femme sans faire un seul geste. Pour une fois, il était vêtu de violet foncé que relevait à peine une mince guirlande d'argent au bord de son pourpoint et de ses manches. Tête nue, il montrait sa courte calotte de cheveux noirs, touchés d'argent vers les tempes. Il n'avait pas encore pris le temps de changer de vêtements. Sa tunique montrait ses longues jambes musclées et ses bottes de cheval étaient couvertes de poussière. Les traits de son visage maigre étaient immobiles.
Jamais il n'avait tant ressemblé à une statue. Il se contentait de regarder Catherine.
Soudain, un léger sourire vint éclairer son visage sombre. D'un geste circulaire, il désigna le délirant décor de tissus.
— Aimez-vous votre chambre ainsi ?
— C'est... c'est merveilleux. Mais, Garin, pourquoi tout cela ?
Il quitta enfin le chambranle de la porte, s'avança lentement vers elle et posa ses mains sur les épaules de la jeune femme.
— Quelque chose me disait que je vous devais une réparation. Ceci est un tribut payé à ma victime, l'hommage que vous offre le remords... Et aussi, cela vous montrera que j'ai pensé à vous...
Tranquillement, sans émotion apparente, il l'approchait de lui, posait un baiser sur son front puis se détournait.
— Le remords ? fit Catherine. C'est un curieux mot dans votre bouche...
— Pourquoi donc ? C'est le mot exact. Je vous ai accusée à tort et je l'ai regretté. J'ai appris, en effet, que vous aviez passé la nuit chez Monseigneur... en toute tranquillité d'ailleurs.
Le détachement du ton qu'il employait irrita la jeune femme.
— Puis-je vous demander qui vous a si bien renseigné ?
— Qui voulez-vous que ce soit, sinon le duc lui- même ? Il m'a dit qu'il vous avait offert l'hospitalité... en tout bien tout honneur. Ma colère était donc injustifiée. Je vous croyais chez un autre et, encore une fois, je vous demande pardon.
— Pourtant, on m'avait vue entrer chez cet autre, n'est-il pas vrai ? Qui vous dit que vous aviez tellement tort ? lança nerveusement Catherine.