Tout contre elle, Catherine sentit un corps vigoureux, des muscles durs revêtus de daim souple. L'homme respirait fort et la jeune femme reconnut l'odeur légère de son haleine avant même que sa bouche ne lui fermât les lèvres. Sa peur s'envola soudain, tandis que, déjà vaincue, elle s'abandonnait.
— Arnaud !... soupira-t-elle, tu es revenu !...
Il ne répondit pas. Une étrange fureur semblait le posséder tout entier.
Sans un mot, avec une hâte brutale, il arrachait la chemise, cherchant la douce tiédeur de la peau que ses mains avides parcoururent en rapides et folles caresses. Attentive à la seule montée du plaisir, Catherine laissait déferler en elle les lourdes vagues bouleversantes. Loin de le repousser, elle s'offrait, à demi folle de passion, lui rendant ses baisers avec une ardeur grandissante. La chambre obscure se mit à tourner autour d'elle et elle sentit qu'elle chancelait mais déjà il l'enlevait de terre, l'emportait haletante jusqu'au grand lit dans les profondeurs duquel il s'ensevelit avec elle. La nuit se referma sur les deux amants, silencieuse et secrète, seulement peuplée de soupirs et parfois d'un doux gémissement.
Quand, de longues minutes plus tard, Arnaud se releva, il n'avait pas encore prononcé une seule parole. Il l'avait prise les dents serrées, avec une sorte de fureur désespérée qui n'excluait pas la passion. Entre ses bras, Catherine ne pouvait plus discerner lequel d'entre eux était l'esclave de l'autre tant les asservissait également la volupté violente, unique, qu'ils goûtaient ensemble.
Lorsqu'elle sentit, du fond de la torpeur heureuse où elle était plongée, qu'il s'éloignait, elle voulut le retenir, tendit les bras, mais ne rencontra que le vide. Aussitôt redressée, elle distingua sa silhouette qui se coulait par la fenêtre, mais n'osa pas crier. Déjà, il était en bas. Elle l'entendit s'éloigner en courant et, avec un soupir de bonheur, se laissa retomber sur ses oreillers. Il pouvait fuir. Pour cette nuit Catherine gardait une pleine moisson de bonheur. Demain, il ferait jour, demain elle le retrouverait. Et il n'était plus question de fuir, d'aller s'enterrer en Bourgogne. Xaintrailles avait raison.
Mais peut-être la bataille serait-elle moins longue qu'il ne le croyait. Arnaud semblait bien près de rendre les armes... Et Catherine passa le reste de la nuit à faire des plans d'avenir tous plus merveilleux les uns que les autres.
Mais le lendemain matin, comme les capitaines arrivaient en groupe auprès de Jehanne pour prendre ses ordres, Catherine, qui, du haut de l'escalier, les regardait entrer dans leurs armures étincelantes et leurs panaches multicolores, constata deux choses : d'abord, Gilles de Rais avait, au plein travers de la joue, une estafilade encore fraîche, tandis qu'Arnaud de Montsalvy offrait un œil gauche magistralement poché, détail dont, dans la nuit, Catherine ne s'était pas aperçue. Ensuite, le regard d'Arnaud ne se posa qu'à peine sur elle. Il détourna la tête, très vite en fronçant les sourcils et, de cet instant, évita soigneusement de regarder du côté de l'escalier.
Pourtant, le bariolage des figures de ses capitaines n'avait pas échappé à l'œil perspicace de Jehanne d'Arc. Posant tour à tour son regard bleu sur Rais et sur Montsalvy, elle déclara mi-figue, mi-raisin :
— Il serait meilleur, messires, pour Dieu et pour le Dauphin1 que vous passiez toutes vos nuits dans votre lit.
Les deux coupables baissèrent le nez comme des gamins pris en faute mais l'air penaud de Montsalvy ne consola pas Catherine qui, une fois de plus, renonçait à comprendre. Pourquoi cette attitude distante, revêche même, après les instants brûlants de la nuit ? Avait-il honte, le jour revenu, de l'amour que Catherine lui inspirait ? Et d'ailleurs, était-ce bien de l'amour cette faim violente qu'il avait d'elle et contre laquelle il se défendait si mal ?
Longtemps après, Catherine devait garder des derniers jours du siège d'Orléans, un souvenir à la fois fulgurant, confus et irréel, mais dominé tout entier par l'image de la grande fille brune aux yeux d'azur qui menait son cheval comme un homme, conduisait l'assaut avec la vaillance et la fougue d'un capitaine chevronné et, ensuite, trouvait des tendresses de mère, des gestes d'une infinie délicatesse pour se pencher sur les blessés et les mourants, celle qui pleurait avec tant d'humilité en confessant ses fautes à Jean Pasquerel ou en écoutant la messe, mais qui menaçait le Bâtard de lui faire « ôter la tête » s'il laissait passer les renforts qu'amenait l'Anglais fallstaff. Haute et tendre Jehanne dont le cœur de feu ne connaissait pas les demi-mesures !
Au soir du 4 mai, Catherine vit entrer dans la ville l'armée de secours et le convoi de vivres que menait Dunois, couronnant cette journée au cours de laquelle la Pucelle avait enlevé aux Anglais la bastille Saint- Loup, rouvrant ainsi la route de Bourgogne. Elle vit Jehanne prier prosternée dans la 1. Jusqu'au sacre, Jehanne d'Arc n'appela Charles VII que le Dauphin.