et vous êtes ma femme. Je suis heureux que vous ayez agi ainsi car vous aviez entièrement raison. Gageons que nos amis vous approuvent et qu'ils nous donneront, maintenant, permission de nous retirer.
La vague de sang venue avec la colère aux joues de Catherine se retira subitement. Sa main frémit dans celle de Garin. Le moment tant redouté était donc venu ? Le visage impassible de l'époux n'évoquait certes pas les doux épanchements de l'amour, mais c'était tout de même vers leur chambre commune qu'il l'emmenait. Sur leurs pas, les invités se formèrent en un cortège dont six musiciens, jouant de la flûte et de la viole, prirent la tête. Éperdue, Catherine chercha le regard d'Odette qui la suivait, menée par Lannoy. Elle y lut une chaude amitié et aussi une profonde compassion.
— C'est chose sans importance que le corps, lui avait dit la jeune femme tandis qu'elle l'aidait à s'habiller, le matin même. L'heure de l'union est pénible pour presque toutes les femmes, même lorsque l'amour est là. Et, lorsqu'il n'y est pas, il arrive, parfois, qu'il vienne ensuite.
Catherine s'était détournée pour prendre sa coiffure des mains d'une servante. Malgré l'amitié profonde, mais encore trop récente, qui la liait à Odette, elle ne s'était pas encore résolue à lui découvrir le fond de son cœur ni le secret de son amour pour Arnaud de Montsalvy.
Elle avait l'impression, stupide peut-être, qu'en laissant la confidence franchir ses lèvres, elle éloignerait d'autant la forme, déjà si lointaine, du jeune homme, elle briserait le charme tissé entre elle et cet ennemi bien-aimé.
... puisqu'il me faut loin de vous demeurer, Je n'ai plus rien à me réconforter Qu'un souvenir...
Les paroles de la plaintive chanson se reformaient d'elle-même sur le miroir fidèle de sa mémoire, si poignantes, tout à coup en face de cette porte sombre qui allait s'ouvrir, puis se refermer.
Catherine ferma les yeux pour retenir les larmes qui venaient.
Elle était au seuil de la chambre nuptiale...
La dernière, Odette s'était retirée, laissant Catherine attendre seule l'arrivée de l'époux. Un dernier baiser fraternel, un dernier sourire vite dérobé par l'entrebâillement de la porte et la jeune femme avait disparu. Catherine savait qu'Odette quittait Brazey le soir même pour regagner son castel de Saint-Jean-de- Losne où l'attendait sa fille.
Malgré le froid et la neige,. peu d'invités demeureraient cette nuit au château, chacun préférant rentrer chez soi. Seuls, Guillaume et Marie de Champdivers resteraient à cause de leur âge. C'était peu, mais leur présence sous le même toit qu'elle-même réconfortait un peu la jeune mariée. Par ailleurs, Catherine ne regrettait ni Lannoy ni Rolin...
Assise dans le grand lit dont les sévères tentures de tapisserie retraçaient des scènes de chasse, elle tendait l'oreille à tous les bruits du château. Mais ils s'éteignaient l'un après l'autre, étouffés par l'épaisseur des murs. Bientôt, il n'y eut plus, dans la grande pièce lugubre que le crépitement du feu ronflant dans l'énorme cheminée de pierre et le bâillement de l'un des chiens au pied du lit. L'autre dormait, la tête sur les pattes.
Des tentures avaient été accrochées le matin même, dans cette chambre glaciale, aux murs de pierre nue. Elles masquaient l'ogive des fenêtres étroites et l'étendue blanche de la plaine sous le ciel noir.
On avait jeté, à terre, les grandes peaux d'ours brun que Garin affectionnait et, ainsi calfeutrée, la pièce ronde, prise dans la tour, avait trouvé une nouvelle apparence, plus douillette. Dans la cheminée, on avait entassé deux troncs d'arbres et la chaleur dégagée était si forte que Catherine sentait la sueur couler le long de son dos.
Mais ses mains crispées demeuraient froides. Elle guettait un pas dans le couloir.
Ses femmes, dirigées par Odette, l'avaient revêtue d'une sorte de robe de nuit en soie blanche, froncée au cou par un lien d'or et dont les larges manches glissaient jusqu'à l'épaule pour peu qu'elle levât les bras. Ses cheveux avaient été tressés en nattes épaisses retombant sur sa poitrine et sur la courtepointe de damas rouge.
Pourtant, malgré l'insistance qu'elle mettait à fixer la porte, Catherine n'entendit ni ne vit entrer Garin. Il sortit de l'ombre d'un renfoncement, soudainement, silencieusement, et s'avança sans bruit sur les fourrures sombres comme une apparition. Effrayée, Catherine réprima un petit cri, remonta ses couvertures qu'elle tint bien serrées sur sa poitrine.
— Vous m'avez fait peur ! Je ne vous ai point entendu entrer...