C'était vrai. Xaintrailles était pâle et l'inquiétude se lisait sur son visage. Mais Arnaud, tout au désir de se débarrasser de lui au plus vite haussa les épaules.
— Ils sont à boire avec les gens de Bourgogne. Tu n'imagines tout de même pas qu'ils seraient partis sans nous ?
— Je n'imagine rien, je constate. Nos gens ne sont plus là eux non plus...
À regret, Arnaud se dirigeait déjà vers la porte, mais avant qu'il l'eût atteinte, la draperie se souleva sous la main d'un homme à la mine arrogante qui resta debout sur le seuil. Derrière lui, Catherine put voir briller les armes et les cuirasses d'une troupe de soldats.
Le nouveau venu était jeune, une trentaine d'années peut-être et portait de magnifiques armes damasquinées d'or, une cotte de brocart rouge, mais il déplut à Catherine. Elle se souvenait l'avoir déjà vu dans l'entourage du duc, sans pourtant y attacher la moindre importance. Elle n'aimait pas sa bouche mince, serrée au-dessus d'un menton volontaire et qui, dans le sourire, ne s'entrouvrait jamais. Un sourire comme en ce moment, à la fois triomphant et cruel. Quant aux yeux, à fleur de tête, ils étaient atones à force de froideur. Mais nul n'ignorait, en Bourgogne,
quel impitoyable seigneur était Jean de Luxembourg, général en chef des armées bourguignonnes. Pour le moment, il regardait les deux chevaliers avec l'expression du chat qui s'apprête à croquer des souris.
Mais, si inquiétante que fût son expression, elle ne sembla émouvoir ni Arnaud ni Xaintrailles. Celui-ci, de sa voix goguenarde, apostrophait le Bourguignon :
— Le seigneur de Luxembourg ? hé, qu'est-ce qui nous vaut l'honneur ?
Luxembourg quitta sa pose nonchalante et s'avança de quelques pas, suivi de ses hommes. L'un après l'autre, ceux-ci franchissaient la porte et se postaient dans la tente, armes menaçantes, cernant les deux hommes et la jeune femme sur qui glissa le regard du chef.
— Il semble, messeigneurs, que vous vous soyez attardés plus que de raison, fit-il avec un violent accent nordique. Messire de Buchant et ses hommes galopent depuis longtemps sur la route de Guise...
— C'est faux ! lança Arnaud avec force. Jamais le connétable ne nous aurait abandonnés ainsi...
Luxembourg se mit à rire et ce rire glaça le sang dans les veines de Catherine.
— À vrai dire... Il croit bien galoper à votre suite. Nous lui avons fait croire que vous aviez pris les devants pour rejoindre une dame fort en peine de vous. Quant à ceux qui gardaient cette tente, nous n'avons eu aucune peine à nous en rendre maîtres.
— Ce qui veut dire ? interrogea Arnaud avec hauteur.
— Que vous êtes mes prisonniers et que je compte vous apprendre le respect qui est dû à mon seigneur le duc. Il serait trop facile, en vérité, de venir insulter les gens jusque chez eux et, ensuite, de s'en retourner tranquillement.
Fou de rage, Arnaud avait bondi sur son épée et en menaçait le Bourguignon, mais quatre hommes se jetèrent sur lui, le maîtrisèrent promptement, tandis que les quatre autres, avec un bel ensemble, tombaient sur Xaintrailles. Celui-ci les laissa faire avec un superbe détachement.
— Est-ce ainsi, hurla Arnaud, que vous respectez les lois de la chevalerie et celles de l'hospitalité ? Voilà donc ce que valent la parole et la sauvegarde de votre maître.
— Laisse donc, fit Xaintrailles avec mépris, son maître passe son temps à pleurer comme une femme sur le sort de la chevalerie. Il s'en proclame le plus fidèle soutien, mais il marie sa sœur à l'Anglais. C'est un Bourguignon, cela dit tout ! Nous avons agi comme des fous en nous fiant à la parole de ces gens-là...
Jean de Luxembourg avait pâli et levait déjà la main pour frapper Xaintrailles, mais Catherine avait bondi et s'interposait.
— Messire, s'écria-t-elle, savez-vous bien ce que vous faites ?
— Je le sais, Madame, et m'étonne de vous trouver encore ici chez ces gens, vous que notre duc honore de son amour. Pourtant, vous n'avez rien à craindre et je ne lui dirai rien de votre présence céans. Il est inutile de le chagriner. De plus je vous dois quelques remerciements pour avoir retenu ces messieurs...
La voix furieuse d'Arnaud lui coupa la parole.
— C'était donc cela ? Voilà pourquoi tu es venue ici, avec tes yeux humides et tes mots d'amour, sale petite putain ! Ma parole, j'ai failli te croire, j'ai failli oublier mon frère massacré, ma vengeance et la haine que j'ai voué à tes pareils... tout cela à cause de toi...
Ce n'est pas vrai ! Je te jure que ce n'est pas vrai ! s'écria Catherine désespérée en se jetant sur le jeune homme que les archers maintenaient par les bras et les épaules. Je t'en conjure, ne crois pas cela, je ne suis pas la maîtresse de Philippe, je ne savais pas que l'on te tendait un piège... Tu ne veux pas me croire ? Je t'aime Arnaud !...
Elle voulut glisser ses bras au cou du jeune homme, mais il se raidissait contre elle, relevant le menton pour qu'elle ne pût atteindre son visage. Le regard du chevalier fila par-dessus la tête de la jeune femme, atteignit Jean de Luxembourg.